Gertrude d’Arabie

par Thierry Gandillot |  publié le 11/10/2024

Olivier Guez raconte la vie de cette aventurière et espionne britannique au Moyen-Orient, aussi passionnante que celle de Lawrence.

Olivier Guez ( The Yomiuri Shimbun via AFP) et la couverture du livre "Mesopotamia" de Olivier Guez (Grasset)

La quatrième de couverture de Mesopotamia, le nouvel ouvrage d’ Olivier Guez, l’assure : « Vous ne la connaissez pas, pourtant elle a tenu le monde entre ses mains ». Elle, c’est Gertrude Bell. Il aurait été plus judicieux d’écrire : « Vous ne la connaissez peut-être pas … ». En effet, Christel Mouchard lui a consacré une excellente biographie Gertrude Bell, archéologue, aventurière, agent secret (Tallandier, 2013), d’ailleurs mentionnée au début de l’imposante bibliographie sur laquelle s’appuie ce roman. Et Werner Herzog a réalisé un biopic en 2015, avec Nicole Kidman dans le rôle de Gertrude et Robert Pattinson dans le rôle de T.E Lawrence.

Certes, Gertrude Bell est moins connue que Lawrence d’Arabie, son collègue du Bureau Arabe, dont elle a souvent croisé la route. Et c’est injuste, car elle a joué un rôle au moins aussi important dans la (re)distribution des cartes au Moyen-Orient au début du XXème siècle. Ceci étant posé, on prend un grand plaisir à lire cette fresque ambitieuse qui ne craint pas de rentrer dans le détail des mouvements politiques et religieux d’une vaste région aux équilibres fragiles mais aux richesses immenses. Olivier Guez sait y faire, il l’a montré brillamment dans La disparition de Josef Mengele, livre pour lequel il a reçu le prix Renaudot en 2017.

Gertrude Bell a vu le jour en 1868 dans le comté de Durham au sein d’une famille de la grande bourgeoisie industrielle britannique. Férue d’alpinisme, elle a réalisé quelques exploits – ce qui lui vaut d’avoir donné son prénom à un pic des Alpes bernoises, le Gertrudspitze. C’est aussi une tête bien faite. Passée par le Queen’s College et Oxford, elle est la première femme à être diplômée en histoire moderne. Ce caractère bien trempé ne compte pas s’enfermer dans la routine d’un confort bourgeois qui l’étoufferait, elle le sait bien. Son esprit indépendant lui donne des envies d’ailleurs.

Alors, elle voyage, beaucoup, aux quatre coins du globe, se passionne pour la photographie, apprend le persan, se lance dans l’archéologie avant d’être repérée par le Bureau arabe. Elle sera la seule femme agente de liaison auprès des nationalistes arabes et devra faire des pieds et des mains pour s’imposer dans un monde exclusivement masculin. Olivier Guez l’a repérée sur une photo de la conférence du Caire de 1921 où elle apparaît comme la seule femme posant au milieu de quarante d’hommes. Churchill l’apprécie, ce qui aide. A force d’acharnement, elle finira par imposer ses vues, Pour le dire vite : définir les frontières de l’Irak, pays composé de tribus et de religions différentes, voire hostiles ; et l’installation au pouvoir à Bagdad, peu évidente, du roi Fayçal et de la dynastie hachémite.

Si elle est restée célibataire, ce n’est pas faute d’avoir été amoureuse, sans jamais avoir réussi à épouser l’homme de ses rêves. Une fois, c’est son père qui se met en travers de ses projets. Une autre fois, l’homme dont elle est folle amoureuse décide de rester fidèle à sa femme. Anticonformiste, Gertrude pouvait prendre aussi, à l’occasion le contre-pied des idées progressistes. De façon surprenante, elle s’opposait au mouvement des suffragettes.

Pour rendre compte de cette existence tumultueuse, Olivier Guez a choisi, de façon risquée, de déconstruire son récit. Le chapitre 1, par exemple, se déroule en mars 1916 à Bassora. Le chapitre 2 en Perse, au printemps 1892. Retour à Bassora, fin mars 1916 au chapitre 3, avant un grand bond en arrière qui nous ramène en mars 1871 à Redcar en Angleterre. Et ainsi de suite, jusqu’à son décès, le 11 juillet 1926, à Bagdad. Un choix qui exige du lecteur une certaine gymnastique de l’esprit mais qui a l’avantage d’éviter les tunnels imposés par l’explication détaillée – parfois trop … – de la géopolitique complexe du Moyen-Orient. Et rend la lecture de ce roman alerte et agréable.

Olivier Guez, Mesopotamia, Grasset, 410 pages, 23 euros.

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture