Glucksmann dans la roue de Hayer

publié le 16/05/2024

La liste soutenue par les socialistes n’est plus qu’à un point de celle des macroniens. Une tendance qui peut bouleverser le paysage politique.

Laurent Joffrin

L’événement commence à prendre forme : dans le dernier sondage Harris interactive, la liste de Raphaël Glucksmann est à 14 % et celle de Valérie Hayer à 15 %. Depuis un mois environ, la tête de liste du PS et de Place publique grignote doucement l’écart qui la séparait de celle du parti macronien qui, elle, ne cesse de s’affaisser. La même tendance se retrouve dans les autres enquêtes et si ces deux pentes persistent, on assistera à un croisement des courbes qui placera Glucksmann en deuxième position derrière le Rassemblement national.

Tout peut encore changer et même si ces chiffres se confirmaient jusqu’à la veille du scrutin, une surprise de dernière minute peut aussi bouleverser l’ordre d’arrivée des concurrents, comme cela s’est produit il y a cinq ans en faveur de Yannick Jadot. Pourtant ces rapports de force provisoires permettent de tirer quelques leçons ou, en tout cas, de formuler quelques hypothèses.

La première, la plus importante, c’est l’inébranlable solidité des intentions de vote en faveur de l’extrême-droite, dont les listes additionnées atteignent un total d’environ 40% en dépit d’une campagne plutôt calme et floue (ou à cause d’elle). Tout se passe comme si Jordan Bardella, fort du capital ainsi constitué, considérait qu’il faut en dire le moins possible pour éviter toute erreur, tel un club de foot qui mène 3-0 et se contente de bétonner sa défense en attendant la fin du match. Ce qui menace, après le scrutin, d’en faire le favori de la prochaine élection présidentielle.

LFI stagne

Cette sérénité fait contraste avec le comportement des responsables LFI à l’autre extrémité du spectre. Manon Aubry a beau suivre son chef Mélenchon dans ses embardées radicales à propos de la cause palestinienne, calomnier ses rivaux et les accusant de « se remplir les poches » grâce à la générosité des lobbys – accusation aussitôt réfutée par les intéressés – et donner de la guerre d’Ukraine une version carrément fantaisiste, ce bruit et cette fureur, théorisés par LFI, ne donnent aucun résultat. La liste Mélenchon stagne autour de 7-8 % et il semble même, pour une fois, que ses outrances, quoique lui assurant une couverture médiatique massive et perverse, finissent par lui nuire et la confinent dans le score historique de l’extrême-gauche.

De même, les efforts des macroniens pour sauver leur candidate Valérie Hayer sont pour l’instant déployés en vain. Même avec l’entrée en lice du Président et du Premier ministre, rien ne semble arrêter l’érosion continue de ses intentions de vote. En 2019, la liste de la majorité, pourtant conduite par Nathalie Loiseau, piètre candidate, avait pratiquement égalé le score du RN, à 22,42 %. Cette fois-ci, elle accuse un retard qui ne cesse de se creuser, perdant six à sept points d’un scrutin à l’autre. 

Si tout cela se confirme, on s’apercevra alors que la coalition majoritaire, qui se présente comme le seul rempart à la montée du RN, ne remplit plus cette fonction. Et symétriquement, on commencera à se demander si le centre-gauche ressuscité n’offrirait pas une meilleure alternative – ou un plus solide barrage – à la victoire annoncée de Marine Le Pen. Dans ce cas, le paysage politique français en sortirait bouleversé. Plutôt que le sempiternel duel Macron-Le Pen, ou Renaissance-RN, une gauche requinquée sur des bases réformistes et réalistes, avec un programme neuf et ambitieux, présenterait aux électeurs un choix nouveau qui changerait la donne.

Ce sont là châteaux en Europe, dira-t-on. Certes. Mais la reconstitution d’un électorat de centre-gauche, si elle se confirmait, ouvrirait une ère nouvelle dans l’histoire politique du pays. Une occasion de rêver ? Peut-être. Ou bien un motif d’espérer.