Glucksmann passe l’oral

par Laurent Joffrin |  publié le 14/03/2024

Premier débat des européennes : le candidat socialiste a marqué un point et la gauche s’est plutôt bien tenue dans cet exercice convenu. Mais son discours reste encore loin des préoccupations populaires.

Laurent Joffrin

Le réquisitoire était implacable, prononcé d’une voix forte et vibrante, énumérant toutes les ambiguïtés, toutes les complicités, toutes les impossibilités de la position lepéniste sur la guerre d’Ukraine. En face de Raphaël Glucksmann, Thierry Mariani pour le RN, pourtant bon débatteur, semblait comme tétanisé par la démonstration, entravé par ses complaisances passées, écrasé par ses incohérences. Il est vrai que le RN avait étrangement choisi cet « idiot utile » de Poutine (dixit Marie Toussaint, candidate écologiste) pour le représenter, ce qui accusait encore l’aberration de sa posture pro-russe.

Ce fut le moment fort de ce premier débat des européennes, où la gauche fut plutôt à son avantage, quoiqu’embarrassée par sa division entre les partisans du soutien à l’Ukraine (le PS et les Verts) et ceux qui demandent une négociation dont ni Poutine ni Zelensky ne veulent entendre parler (LFI et le PCF). Glucksmann et Toussaint ont plaidé pour une Europe plus verte et plus sociale avec des accents convaincants et la candidate écologiste, la moins expérimentée des têtes de liste, se fendit même d’une bonne formule : « Les écologistes ne sont pas là pour emmerder les gens, mais pour les protéger ». Isolée, attaquée de plusieurs côtés, Valérie Hayer, également novice, s’est défendue comme elle a pu, handicapée par l’impopularité macronienne et par l’hétérodoxe idée du président sur le déploiement de troupes occidentales en Ukraine.

Handicaps

Restent deux handicaps pour la gauche. D’abord sa difficulté à parler de la vie quotidienne des électeurs dans un débat centré sur la politique européenne, forcément lointaine aux yeux d’une partie de l’opinion, même si la guerre en Ukraine a dramatisé les enjeux. Ensuite, et surtout, le matraquage de l’extrême-droite sur les questions d’immigration est toujours aussi redoutable. On le sait, une grande partie de la population française, y compris dans l’électorat de la gauche, s’inquiète de la porosité des frontières et doute de la capacité de l’Union à faire face à ce défi. Dès lors le discours anti-migrants offre aux nationalistes une rhétorique simple et trompeuse, qui tourne autour de la fermeture des frontières. En butte à la démagogie xénophobe – ni le Brexit, ni Giorgia Meloni n’ont pu tenir leurs promesses en cette matière –, le discours progressiste patine, fondé sur une protestation morale justifiée, mais qui donne le sentiment de ne pas écouter l’angoisse diffuse des classes populaires.

On en revient à la faille de la gauche, qui éprouve le plus grand mal à regagner du terrain chez les ouvriers et les employés. On l’a dit plusieurs fois dans LeJournal.info : tant que la gauche n’aura pas mis au point un projet crédible en la matière, conjuguant l’impératif de l’accueil et le défi de la maîtrise des entrées, le volontarisme de l’intégration et la fermeté dans la défense des valeurs républicaines, elle restera difficilement audible au-delà de son camp, lequel s’est réduit comme peau de chagrin. Le débat d’hier l’a encore confirmé.

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Laurent Joffrin