Glyphosate : le poids si lourd des lobbys
Un rapport caché gênant pour le pesticide qui réapparaît soudain la veille d’un procès… magie des multinationales de l’agrochimie !
Un rapport qui n’existait pas a subitement fait son apparition lundi 25 mars. Le document établi par l’Agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) faisait état d’une étude sur la capacité des pesticides à base de glyphosate à altérer l’ADN et donc à provoquer des cancers. Un sujet brûlant alors que le glyphosate a été réautorisé en 2023 pour dix ans de plus dans l’Union européenne. Or, cet intéressant document avait tout simplement invisible. L’Anses expliquait refuser de le communiquer à qui que ce soit sous prétexte qu’il n’avait pas encore été adopté par ses instances.
Le journal « Le Monde » qui avait réclamé le texte en vain a donc demandé au Tribunal administratif de Melun de trancher. L’audience a eu lieu le 26. Et – miracle ! – le document, vieux de 8 ans, a été rendu public… la veille. L’Anses s’est piteusement expliquée sur cette publication inopinée par un « souci de transparence », exigence tout d’un coup prioritaire après des années d’opacité.
Il est vrai que ce texte contenait des éléments dérangeants. Les experts y estimaient que des tests supplémentaires étaient nécessaires pour évaluer la dangerosité du glyphosate. L’Anses ne les a pas suivis. L’établissement public a même jugé sans danger des produits à base de cette molécule.
Tentatives de convaincre, d’influencer , voire de corrompre élus ou hauts-fonctionnaires, multiplication de « contre-expertises scientifiques »…
Reste un mystère : qu’est-ce qui a bien pu provoquer de telles palinodies de la part d’une agence d’État dont la mission est de protéger le public ? Certes, la position de la France à propos du glyphosate a toujours été fluctuante. Certes, le monde agricole, grand consommateur de pesticides, a montré récemment sa capacité de mobilisation sur fond de campagne pour les élections européennes.
Mais surtout, l’industrie agrochimique n’ a jamais cessé de faire jouer sa puissance. L’activité frénétique des lobbys qui la représentent à Paris comme à Bruxelles n’a jamais diminué. Tentatives de convaincre, d’influencer , voire de corrompre des élus ou des hauts-fonctionnaires, production de rapports favorables aux produits incriminés, multiplication des contre-expertises scientifiques, on connait tous les procédés.
Dès 2017, les industriels de l’agrochimie se regroupent dans une « Glyphosate Task Force » qui devient le « Glyphosate Renewal (renouvellement) Group ». On y retrouve Bayer (Allemagne, 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires), Syngenta (Chine ,14 milliards de dollars de CA), Albaugh (États-Unis, 1,2 milliard de dollars de CA), Barclays chemicals (Irlande), Ciech Sazyna (Pologne) etc. Ils soumettent le rapport de synthèse de leurs études à l’Agence européenne des produits chimiques et à l’Autorité européenne des aliments qui estiment que rien ne s’oppose au renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du pesticide.
Normal, à Bruxelles, ce sont les industriels qui doivent apporter la preuve de l’innocuité de leurs produits… sans que les agences aient les moyens de leur propre expertise. Et « Glyphoste Renewal Group » n’est qu’une des 1200 « business association » qui œuvrent dans la capitale européenne. Que peut donc peser dans ces conditions l’avis d’une petite agence gouvernementale française ?