Goldman, une affaire toujours explosive
Un film retrace l’histoire de Pierre Goldman, accusé d’un double meurtre en 1969, blanchi après six ans de prison et un procès mémorable, avant d’être assassiné en 1979
Qui se souvient encore de cette affaire qui défraya la chronique de la fin des années 70 ? Le film de Cédric Kahn nous embarque au cœur du deuxième procès en appel au tribunal d’Amiens, qui innocenta en 1976 Pierre Goldman, accusé du meurtre de deux pharmaciennes, boulevard Richard-Lenoir, à Paris en 1969. Tout se joue dans la salle du procès, animée par un public qui ne craint pas de manifester bruyamment ses opinions.
Pierre Goldman magnifiquement interprété par Arieh Worthlhater, qui crève l’écran et éclipse même son avocat, Georges Kiejman – joué par Arthur Harari – dont c’était la première grande plaidoirie devant une cour d’assises. Réussir un film dans un huis clos n’est pas un exercice facile. Cédric Kahn le réussit en nous plongeant, 50 ans plus tard, dans ce drame qui s’est joué en avril 1976.
Un procès d’assises, toujours spectaculaire, fait peser sur les jurés – citoyens ordinaires– le poids d’une responsabilité dont ils connaissent les conséquences : la vie ou la mort sociale d’un individu. On observe avec passion le talent des avocats et leurs joutes oratoires avec le procureur pour emporter la conviction des jurés ; le rôle central du président du tribunal, arbitre et maître de cette mise en scène institutionnelle ; les témoins, dont on voit bien les contradictions, les incertitudes, tant la mémoire cède souvent devant la passion.
Et puis, surtout, il y a l’accusé : ici, un homme hors du commun, violent, brillant, à la personnalité complexe, meurtri dès l’enfance par le sort réservé aux juifs polonais, et qui porte sur ses épaules, le poids de la Shoah, cherchant à venger l’injustice de la société par une rébellion violente, qui le conduit du rôle de guérillero en Amérique latine à celui de malfrat, braqueur de petits commerces. Et finalement meurtrier ?
A-t-il tué les deux pharmaciennes du boulevard Richard-Lenoir lors d’un braquage qui a mal tourné ? Oui, dit le premier tribunal en 1975. Non, répond le second, un an plus tard. Pierre Goldman est donc acquitté, mais assassiné en 1979, dans des conditions non encore élucidées.
Ainsi naît une légende et c’est le deuxième intérêt du film de nous faire sentir ce que le procès a représenté à l’époque, huit ans après mai 1968, symbole du rejet par une génération d’une société colonialiste, patriarcale, répressive et injuste envers les exclus de la société.
Pierre Goldman est juif. En prison, il crie son innocence et dénonce le racisme des gardiens. L’extrême gauche a trouvé son héros. Celui qui, comme Dreyfus autre fois, va incarner la répression judiciaire après celle de la police. Innocent ou coupable ? Peu importe ! Simone Signoret préside le comité de soutien, Régis Debray, préface le livre écrit par Goldman en prison et grand succès de librairie, Jean-Paul Sartre et toute l’intelligentsia parisienne s’engagent à ses côtés.
Dans le prétoire, toute une époque rejaillit, la tension, les affrontements, et surtout la rage d’un homme acquitté, mais portant sur ses épaules le poids des illusions et d’une vie perdues. Son enterrement, trois ans plus tard, sera suivi par une immense foule silencieuse.
Qu’est-ce que la vérité d’un homme ? Qui porte la responsabilité d’un enchaînement de faits qui a conduit à la mort de deux personnes ? La remise en cause d’une société passe-t-elle nécessairement par la violence contestataire ? Et celle des policiers, inévitable lorsque s’affrontent deux conceptions du monde diamétralement opposées ?
Questions politiques et philosophiques qui sont toujours d’une actualité brûlante.