Gouverner sans Le Pen

par Laurent Joffrin |  publié le 03/07/2024

Dans le cas où le RN perdrait, et faute de majorité, imposons un gouvernement de défense républicaine, qui fasse, pendant trois ans, les réformes utiles.

Laurent Joffrin

C’est une chose impossible… mais elle est nécessaire. Depuis le vaste désistement républicain qui a douché les espoirs du Rassemblement national (même si sa victoire reste possible), les prophètes sans imagination imaginent le pire. Si Le Pen est minoritaire, disent-ils, où est la majorité ? Quoi ? Mettre ensemble le Nouveau Front Populaire, le centre et la droite, n’y pensez pas ! Comment pourraient-ils s’accorder ? Diminuer ou augmenter les impôts ? Freiner l’immigration ou l’accélérer ? Sortir du nucléaire ou le développer ? Choisir la sécurité ou la liberté ? Etc. Ils ne sont d’accord sur rien. Impossible donc.

Mais réfléchissons deux minutes à l’autre solution : une instabilité délétère, une impuissance terrible, une crise politique tous les deux mois, provoquée par le vote à répétition de motions de censure ou par le refus de tout projet de loi qui contredirait le programme de l’un ou de l’autre. Le scénario est vraisemblable, d’accord. Mais quelle serait sa conséquence ? Sinon le ricanement satisfait du RN ,qui aurait beau jeu de dire : « Voyez, le système nous écarte contre la volonté du peuple et tout ce qu’il sait faire, c’est instaurer le désordre, la confusion et l’aboulie ». Et ensuite, fort de cet argument d’évidence, soutenu par une opinion écœurée par un ballet politicien sans queue ni tête, le RN préparerait tranquillement l’accession de Marine Le Pen à l’Élysée. Coalition impossible, donc, mais coalition nécessaire ! Faute de quoi les partis républicains dérouleraient un tapis brun sous les pas de la future présidente.

Nécessité

Nécessité, dit-on, fait loi. Nécessité républicaine aussi, qui exige des solutions inédites pour une situation inédite. Un scénario se dégage ainsi, moins invraisemblable qu’il y paraît. L’épée dans les reins – ou au-dessus de leur tête, tel Damoclès – les chefs de parti décideraient de prendre leurs responsabilités, c’est-à-dire de gouverner, ou de laisser gouverner une équipe (s’ils ne veulent pas se salir les mains), pour ne pas laisser la France à l’arrêt et le RN, tel Raminagrobis, ronronnant et prêt à avaler ce qui passe à sa portée. C’est-à-dire raisonner, non à partir de leurs programmes respectifs, incompatibles en l’état, mais des souhaits exprimés par les Français : plus de sécurité, plus de justice, plus d’écoute et de démocratie, plus d’écologie mais plus de protection, à tout le moins.

Sur ces bases simples, est-il vraiment impossible d’élaborer un programme de salut public, où chacun, droite, centre et gauche, imposerait une partie de ses projets, mais accepterait, en échange, que les autres fassent de même ? Une politique de tranquillité publique, d’apaisement civil, d’aide aux entreprises, de sérieux financier, de relèvement du pouvoir d’achat des classes populaires, de taxation raisonnable des plus riches, de redressement industriel volontariste, de lutte rationnelle pour le climat, de renforcement de l’école, de soutien des services publics, d’accueil des migrants mais de maîtrise des entrées, etc. Une politique qui pourrait être approuvée, même s’ils ne s’y retrouvent qu’en partie, par Xavier Bertrand, comme par Boris Vallaud, par François Bayrou autant que par Marine Tondelier, par François Ruffin et François Hollande. Ni rupture, ni immobilisme : un programme de défense républicaine qui rassure les Français et utilise ces trois années pour faire avancer la France, non selon les projets incompatibles des partis, mais selon les aspirations de deux Français sur trois.

Compromis

Un compromis, en somme, comme il en existe partout en Europe. Non pas à la mode Macron, où un omni-président ferait tomber de l’Élysée ses géniales synthèses, mais un contrat de gouvernement négocié au Parlement, par les élus du peuple, c’est-à-dire par des formations qui représentent tout de même, au vu de ce premier tour, les deux tiers des Français. Le président ? Il obtempérera.

Bien sûr, étant par nature minoritaire à l’Assemblée, un tel gouvernement serait à la merci d’une motion de censure votée conjointement par le RN et LFI. Mais dans ce cas, ces forces extrêmes, étrangement alliées, prendraient la responsabilité du désordre. Le peuple, ensuite, jugerait à la présidentielle. Mais si ces extrêmes comprennent qu’ils perdraient plus au désordre qu’ils n’y gagneraient, cette défense républicaine pourrait marcher. Elle pourrait donner à la France, pour trois ans, un répit à la fois laborieux et utile. Alors ? Alors c’est un rêve, diront les éternels sceptiques. Peut-être. Mais l’autre branche de l’alternative, c’est le cauchemar Le Pen.

Laurent Joffrin