Grande-Bretagne : la preuve par Starmer
Le triomphe travailliste accuse la différence criante entre le Labour Party et la gauche française
Comment trouver plus éclatante illustration du théorème que nous défendons ici depuis toujours ? C’est la gauche réformiste qui gagne, c’est la gauche radicale qui perd. Les travaillistes viennent de remporter une victoire historique – la plus spectaculaire depuis 1945 – avec plus de 400 sièges à la Chambre des Communes, bien au-dessus de la majorité nécessaire pour gouverner. Keir Starmer, travailliste à la fois classique et modéré, devient ainsi Premier ministre après treize années de domination conservatrice.
Pourquoi ? Parce qu’il a chassé de ses rangs Jeremy Corbyn, une sorte de Mélenchon britannique, qui avait confiné son parti dans une quasi-marginalité en raison de ses discours radicaux et de ses ambiguïtés avec l’antisémitisme. Ensuite parce que le nouveau Premier ministre a présenté au pays un programme crédible de changements progressifs et non un catalogue de mesures risquées ou non financées.
Cette écrasant succès est évidemment amplifié par le scrutin majoritaire à un tour, traditionnel en Grande-Bretagne, impitoyable pour les vaincus ou pour les partis plus petits que les deux principales formations. En voix – et non plus en sièges – le Labour progresse de quatre ou cinq points (c’est déjà quelque chose) et c’est surtout l’effondrement des voix conservatrices qui est à la base du triomphe de Keir Starmer, produit au fil des ans par l’échec du Brexit et par les frasques diverses et variées des trois derniers occupants du 10 Downing Street, Boris Johnson, Liz Truss et Richi Sunak.
Mais justement : quand un adversaire de droite est en difficulté, c’est en convainquant ses anciens électeurs de repasser à gauche qu’on gagne la partie, non en s’arc-boutant sur la fraction la plus radicale de sa base électorale. C’est avec des civils qu’on fait des militaires. C’est avec des anciens électeurs du centre et de la droite que la gauche passe de la minorité à la majorité.
Une règle d’évidence que la gauche française n’a toujours pas comprise. Mes électeurs passent à droite, dit-elle, il faut donc aller plus à gauche. Résultat : au premier tour de ces législatives de 2024, le total des voix de gauche stagne à 28 %, soit au-dessous du score global obtenu quelques jours plus tôt lors des Européennes, où la liste Glucksmann a reconquis une partie de l’électorat socialiste passé chez Macron et que Mélenchon a fait repartir aussitôt. Ce qui vient confirmer notre théorème de base.
Alors, bien sûr, on ne manquera pas, au sein de la gauche française, de fustiger un programme travailliste bien trop timide aux yeux des donneurs de leçons de la radicalité à œillères. Ce qui débouche sur le corollaire de notre théorème : la gauche française préfère un programme radical qui ne s’applique pas à un projet réformiste qui entre dans les faits.