Grande-Bretagne : le crime des GAFAM
Les tragiques événements d’outre-Manche mettent en lumière l’écrasante responsabilité des réseaux sociaux dans les émeutes qui secouent le pays.
Combien de temps laissera-t-on encore les maîtres d’Internet miner les bases de la démocratie ? Combien de temps les assassins de la vie réelle seront-ils encouragés, secondés, guidés par les incendiaires en ligne, sans que personne ne songe à mettre en cause ceux qui font impunément argent de cet incroyable laxisme ?
En Grande-Bretagne, à Southport près de Liverpool, un jeune meurtrier s’attaque au couteau à un groupe d’enfants, tue trois fillettes et en blesse huit. Horrible massacre qui pétrifie l’opinion et heurte la conscience humaine. Aussitôt, alors même qu’on ignorait l’identité de l’assassin, plusieurs sites conspirationnistes, rapidement relayés par toutes sortes de comptes plus ou moins louches, affirment que l’assassin est un immigré sans-papiers au nom à consonance musulmane.
Comme le prévenu est mineur, la police s’interdit de donner plus de précisions, appelant seulement à la prudence dans l’interprétation. Rien n’y fait : les réseaux amplifient la rumeur, désignent un coupable sans preuves et mettent en cause les immigrés en général, ce qui permet à des activistes d’extrême-droite d’appeler à des manifestations qui tournent aussitôt à l’émeute dans des dizaines de villes du pays.
Devant ces réactions irrationnelles, la police livre l’identité du prévenu : ce n’est pas un musulman sans papiers, c’est un natif de Cardiff d’origine rwandaise, dont on ignore l’obédience religieuse et dont le prénom – Axel – ne le rattache apparemment pas à l’islam. Ce qui n’arrête en rien les manifestants, qui s’attaquent à des foyers de migrants pakistanais ou à des associations caritatives d’aide aux réfugiés.
Les autorités ont toutes les peines du monde à contenir la protestation violente et le gouvernement doit déployer des effectifs massifs, tout en menaçant les émeutiers de sanctions exemplaires. Il faut des contre-manifestations massives organisés par les mouvements antiracistes pour éteindre tant bien que mal l’incendie.
Les commentateurs, dans leur majorité, stigmatisent évidemment le crime initial, particulièrement atroce, et condamnent ensuite l’action perverse des militants d’extrême-droite. D’autres s’interrogent sur les relations intercommunautaires en Grande-Bretagne qui forment la toile de fond des émeutes et qui jettent sur le « multiculturalisme » britannique une lumière embarrassante. Mais au fil de ces réflexions fort légitimes, on oublie d’autres coupables : ceux qui ont véhiculé en toute bonne conscience les messages de haine et les appels à la violence anti-immigrés. C’est-à-dire les richissimes propriétaires des réseaux sociaux tels que X, Tik-Tok ou Telegram.
Tout journal, toute radio, toute chaîne de télévision qui aurait diffusé les mêmes mots d’ordre aurait évidemment dû en répondre devant la justice. Rien de tel pour les réseaux en ligne. Pour eux, aucune différence entre les messages de haine et les messages d’apaisement : dans les deux cas, ceux-ci gonflent l’audience et donc les revenus publicitaires. Et comme la haine se diffuse beaucoup plus vite que la tolérance, les GAFAM s’abstiennent de la combattre sérieusement, trop soucieux de leurs actionnaires qui n’ont d’yeux que pour leurs résultats trimestriels.
Ceci n’est qu’un exemple parmi des milliers, où les règles minimales de la liberté d’expression, qui suppose une régulation minimale, sont allègrement bafouées pour garantir les profits des multinationales du Net. C’est le propriétaire du réseau X, Elon Musk, qui a tiré la leçon de ces événements : « Une guerre civile est inévitable en Grande-Bretagne », a-t-il écrit dans un message sur sa propre plate-forme. Conclusion logique, en effet : jetant sans cesse de l’essence sur les flammes, il est bien placé pour annoncer l’incendie.