Grenelle à la rue ?

par Boris Enet |  publié le 24/09/2024

Et de six ! Six ministres en vingt-quatre mois… Et cette fois, la nouvelle ministre ne possède ni la technicité de la maison, ni l’autorité politique de quelques-uns de ses prédécesseurs.

Portrait de la ministre française de l'Éducation, Anne Genetet, à l'Élysée, le 23 septembre 2024. (Photo par Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP)

Il serait inélégant de mettre en doute les qualités politiques de madame Genetet avant même qu’elle ait entamé sa mission. Députée de la onzième circonscription des Français de l’étranger, résidente à Singapour durant de nombreuses années après des études de médecine, cette jeune sexagénaire est longtemps restée discrète. Protégée de Gabriel Attal, elle n’en a ni le talent oratoire, ni l’audace. Tout juste lui accorde-t-on une forme d’intérêt pour les questions de défense – elle a siégé à ladite commission du palais Bourbon – ainsi que pour des cours destinés aux domestiques des Philippines qui lui ont permis de lancer une petite entreprise prospère.

Rien de rédhibitoire pour le ministère chargé de la « mère des batailles » selon l’expression de Gabriel Attal. Mais peut-on raisonnablement impulser une politique éducative avec un tel pédigrée, tout en gérant de surcroît le sixième employeur civil du monde, quand tant d’autres avant elle ont échoué ? Sans insulter l’avenir, ou la personne de la nouvelle ministre, la question est légitime.

Madame Genetet hérite d’une situation où le niveau des élèves et l’attractivité de la profession enseignante sont en berne. La bureaucratie pléthorique du mammouth peine à justifier sa maigre efficacité. Ballotée entre des réformes souvent mal ajustées, rarement évaluées, compromises par une superstructure réticente, l’école a perdu le fil de ses missions, malgré le dévouement de ses serviteurs et ses valeurs républicaines intactes. Lors de sa passation des pouvoirs, elle a annoncé que « le navire ne changerait pas de cap ». Les mauvaises langues remarqueront qu’il en était de même pour Edward John Smith, à peine plus âgé qu’elle en 1912, aux commandes d’un autre monstre, le Titanic.

L’éducation nationale ne réclame pas une énième révolution de palais. Elle est même lasse de la frénésie réformatrice qui la bouscule régulièrement. Les professionnels de l’éducation attendent en réalité un cap et quelques mesures qui changeraient l’atmosphère, mettant un terme au sentiment de déclin qui assaille les profs et parfois les élèves. Lors de son passage éclair à Grenelle, Gabriel Attal avait su, en quelques semaines, trouver un discours et prendre quelques mesures symboliques approuvées par le milieu, avant de se lancer dans un « choc des savoirs » contestable, contesté et inappliqué aujourd’hui dans sa version initiale. Ainsi, tout est désormais suspendu, depuis les réformes de programmes jusqu’à celles du brevet ou la refonte de la formation des enseignants.

Sa nomination est-elle un gage de stabilité face au pôle le plus réactionnaire de ce gouvernement, symboliquement incarné par le nouveau ministre de l’Intérieur ? Mais dans ce cas, pourquoi lui flanquer un ministre LR en la personne d’Alexandre Portier, délégué à la réussite scolaire et à l’enseignement professionnel ? Un député connaissant les questions d’éducation et proche de Laurent Wauquiez, qui signait en mai dernier une tribune pour soutenir l’enseignement privé.

Plutôt qu’une dream team un peu vintage, le gouvernement ressemble à un fragile assemblage né d’un subtil équilibre au sein de la coalition majoritaire. Loin de la méthode de Singapour qui excelle en mathématiques, ce serait la certitude d’un énième échec annoncé pour un ministère au bord de la rupture.

Boris Enet