Grève : l’école désarmée
L’heure serait au « réarmement » généralisé, selon le Président de la République. Mais ceux qui devraient en être les premiers hussards, les enseignants et les autres personnels de l’Éducation nationale, se sentent aujourd’hui bien désarmés !
En regardant à l’écran le Premier ministre face au tohu-bohu qui accompagnait son discours de politique générale, je me demandais en quoi son discours réitéré sur l’autorité, l’autorité, l’autorité, lui permettait de faire face autrement qu’en forçant sa voix et de continuer, faussement impavide, à lire son texte. Car, toutes proportions gardées, c’est bien à un tel exercice que doivent se livrer certain(e)s enseignant(e)s face à certaines classes.
Et tout enseignant sait que l’autorité ne peut seulement venir de quelques dispositifs répressifs supplémentaires ou de la hauteur de l’estrade, encore moins de l’uniforme. L’autorité se gagne. Par la qualité du propos tenu et l’autorité qui en émane. Par le comportement, à la fois ferme et bienveillant, et la compréhension des situations individuelles dont il témoigne.
Vanité
Peu de tout cela dans le spectacle donné tant par l’exécutif que par les membres d’une des plus hautes institutions de notre république. Comment alors ne pas comprendre la vanité de ces appels incessants à l’autorité ou au « réarmement » quand nos enseignants se sentent tous simplement de plus en plus désarmés ? Non pas dans leurs métiers qu’ils exercent en général fort bien, mais dans le regard que jettent sur eux une partie de la société et des plus hautes autorités de l’État.
La grève de ce 1er février 2024 tient d’abord de cette exaspération. Face à ce métier porté officiellement aux nues, mais laissé bien nu dans ses salaires, ses conditions de travail, sa représentation dans le gouvernement, sa dévalorisation sociale croissante.
On sait déjà que les salaires sont depuis longtemps parmi les plus bas de l’OCDE. On sait moins, comme le révèle une récente enquête de la Direction Générale de la Fonction Publique, qu’en 2022, bien que fonctionnaires de catégorie A, la plus haute, les enseignants des écoles gagnaient en moyenne moins que les « corps d’encadrement et d’application de la police », autrement dit les gardiens de la paix et les brigades de police, pourtant agents de catégorie B. 3274 € pour les premiers, 3474 € pour les seconds. Et que les certifiés, agrégés ou enseignants de lycée professionnel gagnaient à peine plus.
On dira qu’ils ont été augmentés récemment. C’est vrai et c’est heureux, mais les écarts demeurent et s’accroitront sans doute à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques. Tant mieux pour les policiers qui méritent certainement ces rémunérations. Mais on l’aura compris, la question est ici autant celle de la valorisation sociale que du niveau de salaire.
Comme les autres questions qui agitent aujourd’hui les enseignants.
Ministre à mi-temps
Ainsi du choix d’une ministre « à mi-temps », ne lui permettant pas de prendre la vraie mesure de cet immense ministère et ayant démarré sa prise de fonction avec des propos maladroits voire méprisants pour ses propres troupes. Mais le Premier ministre lui-même est au cœur du sujet, non seulement par le choix de la ministre, mais plus encore par les orientations qu’il a laissées derrière lui avec son « choc des savoirs ». Des orientations qui renvoient à la vision la plus rétrograde de l’éducation, niant des décennies d’expérience et de recherches, sacrifiant tout à l’apparence de l’autorité plutôt qu’à la vraie autorité du savoir bien compris.
De là, ce malaise généralisé non seulement des enseignants, mais de tous ceux qui les accompagnements, chefs d’établissements, inspecteurs, et autres personnels. Parce que l’école publique, la seule qui accompagne tous les enfants qui en ont le plus besoin, n’est plus la priorité d’un gouvernement tout à sa conquête des « classes moyennes ».