Guerre d’Ukraine : la mascarade de Riyad
Un projet de cessez-le-feu soumis aux conditions russes : un pas en avant, ou bien une manœuvre dilatoire destinée à affaiblir Zelensky ?

À Riyad, les négociations impliquant Russes, Américains, Ukrainiens pour la mise en place d’un cessez le feu de trente jours viennent de déboucher sur un accord sur la suspension des hostilités en mer Noire. Mais quel est le sens de cette annonce faite par la Maison Blanche ? Pour appliquer l’accord, en effet, Moscou pose de nombreuses conditions, comme la levée des sanctions qui entravent l’agriculture russe.
Deux jours de réunion, première phase dimanche entre Américains et Ukrainiens. Kiev était représenté par le ministre de la défense de l’équipe Zelensky. « La discussion a été productive et ciblée. Nous avons abordé des points clefs, notamment l’énergie », a souligné Rustem Umerov. Depuis la scène humiliante du lynchage médiatique de Volodymyr Zelensky à la maison blanche, l’Ukraine répète qu’elle veut un arrêt provisoire des frappes sur les sites de production d’énergie.
La seconde phase s’est déroulée lundi, elle impliquait Russes et Américains. Douze heures de discussion. Et cette conclusion de la porte-parole du département d’Etat Tammy Bruce précisant que les avancées principales portaient sur « le rétablissement complet des activités commerciales en Mer Noire ».
Cette liberté de circulation maritime en Mer Noire avait déjà été mise en place pendant un an à l’été 2022 pour permettre aux Ukrainiens d’écouler leurs céréales. L’équipe Trump vient de ressortir ce dossier avec l’aval des Ukrainiens. A l’évidence, Poutine voit dans cette dérogation partielle un moyen de soulager les sanctions qui frappent la Russie. Mais pour le reste, Poutine ne bouge pas, il a le temps pour lui.
Sur la scène de Riyad, une sinistre mascarade est en train de s’installer. On voudrait faire croire que les pourparlers sur une suspension des bombardements mettent en jeu trois acteurs, russes, ukrainiens, américains. Rien n’est plus faux. Dans le ronron des déclarations officielles, on note une insistance appuyée de la Maison-Blanche à souligner qu’il est difficile de faire bouger les positions russes, ce qui permet de donner une crédibilité narrative à cette pièce de théâtre. En réalité, les Ukrainiens ont en face d’eux un seul bloc. Un bloc russo-américain.
Derrière la scène de Riyad, la vraie guerre contre l’Ukraine n’a jamais faibli. Le survol nocturne des drones russes et les frappes sur les infrastructures continuent, comme le montre l’attaque par missile balistique qui a touché lundi Soumy, une ville de 250.000 habitants situé au nord-est du pays. Plus d’une centaine de morts.
La guerre des récits contre Zelensky, elle aussi, n’a jamais été aussi intense. On vient d’en avoir une nouvelle preuve avec l’interview accordé par le représentant spécial de Trump Steve Witkoff au journaliste podcaster d’extrême-droite Tucker Carlson. Witkoff n’est pas un diplomate, mais un homme de confiance de Trump à la tête d’un parc immobilier estimé à un milliard de dollars. Comme son patron c’est aussi un adepte du « deal ».
Il a rencontré Poutine à Moscou et en parle comme un jeune converti sortant de la basilique Saint-Basile-le-Bienheureux sur la Place Rouge : « Poutine a un immense respect pour le président … Au passage, nous avons parlé pendant deux heures d’un cessez-le-feu définitif. Et les Russes ont besoin de certaines conditions pour un cessez-le-feu définitif. Il y a Koursk, où les troupes ukrainiennes sont encerclées ».
Aligné sur le narratif de Poutine, l’émissaire de Trump revient sur une des clefs de la posture russe en évoquant les élections : « Ils ont accepté cela. Il y aura des élections en Ukraine ». Le partenaire de golf de Trump ne s’est pas aventuré à donner une échéance. Peut-être feint-il d’ignorer que la constitution de Kiev interdit tout scrutin en temps de guerre. Le 19 février dernier déjà Trump avait traité Volodymyr Zelensky de « dictateur ». Cette petite musique visant à ôter toute légitimité au président ukrainien ne doit rien au hasard au moment où l’on parle de trêve : tout est bon pour décrédibiliser celui qui incarne la résistance de l’Ukraine indépendante.