Guerre et paix en Europe
Les cérémonies du Jour J nous rappellent ce qu’était la guerre. Œuvre utile : l’Union européenne ayant assuré la paix depuis, on tend à l’oublier, pour le grand profit des nationalistes.
Les esprits vigilants auront remarqué que les élections européennes ont lieu – en France tout du moins – trois jours après la commémoration du 6 juin 1944. Cette concomitance fortuite entre deux calendriers qui n’ont pas grand-chose à voir, celui de la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale et celui des scrutins au sein de l’Union européenne, appelle une réflexion politique à la fois évidente et précieuse.
Il y a quatre-vingts ans, le vieux continent était ravagé par un conflit dont le Débarquement a marqué l’un des ultimes tournants ; depuis quatre-vingts ans, le même continent vit en paix. Ou, plus exactement, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les pays qui ont adhéré à l’Union européenne, et dont les ressortissants de 1944 se sont entretués pendant la bataille de Normandie (Allemands, Français, Anglais, Polonais, Belges, Néerlandais, Tchèques, etc.), se sont abstenus de tout conflit armé les uns contre les autres.
Rupture fondamentale
On l’oublie trop souvent : cette paix de quatre-vingts ans crée une rupture fondamentale dans l’Histoire. Avant 1945, les peuples aujourd’hui rassemblés dans l’UE ont vécu dans une guerre quasi-permanente, qui a cessé depuis. Un rapide coup d’œil sur le temps long suffit à s’en convaincre. Entre la conquête romaine et la défaite de l’Allemagne en 1945, en deux mille ans d’histoire, donc, il ne se passe pratiquement pas une décennie sans que le fracas des armes ne vienne répandre le malheur parmi les nations. Guerre des Gaules, révoltes dans l’empire romain, invasions barbares, Guerre de Cent-ans, Guerre de Trente Ans, guerres franco-anglaises au XVIIIème siècle, guerres de la Révolution et de l’Empire, guerres du Second Empire, Grande Guerre, Seconde Guerre Mondiale : on ne cite là que les exemples les plus connus.
Ce contraste est souvent négligé. Avant l’Union européenne, la guerre est une dimension essentielle de la vie des Européens. Depuis qu’elle existe, la paix est devenue la norme. À tel point que la plupart des Européens d’aujourd’hui (sauf les très âgés), à la différence de leurs ancêtres depuis Vercingétorix, n’ont jamais connu de bataille, ni vu passer chez eux une armée en campagne. Tel est le principal acquis de l’Union, qu’on ne cite plus que mécaniquement, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
Mais les peuples ont la mémoire courte. La guerre ayant disparu, ils négligent les bienfaits de la paix. L’Union ayant remplacé l’affrontement armé par la négociation au sein d’institutions communes, ils oublient cet immense progrès pour se concentrer sur les failles de la construction européenne. Fondé sur cette amnésie, le nationalisme reprend ses menées délétères et menace l’édifice conçu pour assurer le règlement pacifique des conflits. C’est la grande utilité de la commémoration du Jour J : rappeler ce qu’était la guerre sur le continent. C’est aussi la grave responsabilité des leaders nationalistes : faire comme si l’ancienne malédiction ne pouvait jamais revenir.