Guillaume Meurice, Jean Moulin des ondes ?

par Laurent Joffrin |  publié le 13/05/2024

Est-ce un crime de censure que de demander à un comique de faire des bonnes blagues plutôt que des mauvaises et d’éviter au service public d’avoir à assumer des sous-entendus aussi grossiers que l’assimilation des Juifs aux nazis ?

Laurent Joffrin

Drôle de zig, tout de même, ce Guillaume Meurice, désormais intronisé martyr de France Inter. Pour avoir proféré une très mauvaise blague, ce que tout le monde reconnaît, y compris ses défenseurs, le voilà propulsé héros de la liberté d’expression. « Netanyahou, nazi sans prépuce » : tel est le haut fait d’arme du Jean Moulin des ondes  

On dira : pourquoi parler d’une mauvaise blague ? Parce que l’assimilation d’un juif au nazisme, serait-il Premier ministre, est un geste politique lourd, qui leste soudain le mot d’esprit d’une signification solennelle, par définition ennemie du comique. En quelques mots, on met un signe égal entre bourreaux et victimes, on place sur le même plan l’holocauste de six millions de Juifs exterminés par des moyens industriels et le massacre de 30 000 à 40 000 Palestiniens, sacrifiés au cours d’une opération de guerre. Non tous les crimes ne sont pas de la même nature, ni de la même ampleur. On pouvait trouver d’autres termes pour Netanyahou – criminel, assassin, bourreau, ce qu’on veut. Mais choisir « nazi », délibérément, c’est affirmer une thèse : dès lors que les victimes du nazisme se comportent, dixit Meurice, comme des nazis, il n’y a plus de coupable et d’innocents et le peuple victime de la Shoah n’a plus de droit de s’en prévaloir, puisqu’il fait la même chose. Par là-même, Israël perd toute légitimité, puisque c’est précisément la découverte de l’ampleur de la Shoah qui avait, à l’époque, conduit les principales puissances à décider d’un partage de la Palestine entre Juifs et Palestiniens, pour donner aux premiers un refuge sûr. C’est, implicitement, rejoindre le camp de ceux qui veulent la disparition d’Israël. Mauvaise blague, en effet.

Meurice avait été tancé par sa direction : cela peut se comprendre, tout de même. Celle-ci est à la tête d’un service public, elle doit garantir, même dans les émissions de divertissement, d’un certain équilibre, d’une certaine neutralité politique. France Inter n’est pas une radio affermée à ses producteurs et animateurs, qui disposeraient d’une totale indépendance, chacun dans sa case. Comme toute radio, elle a une ligne éditoriale, des principes de pluralisme et un devoir d’ouverture à toutes les opinions, et à tous les publics, dont sa direction est comptable.

Là-dessus, tout à fait consciemment, Meurice réitère sa blague louche, dans un bras d’honneur tout à fait assumé. Dès lors, sa direction est coincée : si elle ne dit rien, elle passe sous la table et ne dirige plus rien ; si elle sévit, elle est accusée de censure. Elle a choisi la seconde solution. Pour avoir dirigé des journaux pendant trente ans, je ne peux pas m’empêcher de la comprendre : à un moment ou à un autre, les responsables doivent prendre leurs responsabilités.  

Ceux qui protestent contre la décision de France Inter doivent donc répondre à trois questions.

  • L’Arcom, gardienne des principes, réprouve le sketch de Meurice et a adressé une mise en garde à France Inter. Peut-on lui demander de sévir contre Hanouna ou CNews, coupables d’enfreindre leur code de bonne conduite, mais récuser cette instance indépendante quand elle critique France Inter ? Deux poids, deux mesures ?
  • Est-ce un crime de demander à un comique de faire des bonnes blagues plutôt que des mauvaises et de le sanctionner quand il persiste volontairement dans ce que ses plus ardents avocats estiment être un dérapage de mauvais goût ?
  • Et enfin, Meurice aurait-il heurté par une aussi mauvaise blague une autre minorité, rangée celle-là dans la catégorie des dominés, le défendrait-on avec autant d’énergie ?   

Laurent Joffrin