Gustave Courbet, l’hérétique
A travers l’œuvre du peintre, Sandrine Treiner réussit une enquête intime sur la politique, la culture, l’art pour tous et la radicalité. A l’image de celui qui s’autorisait à dire non à tous les conformismes. Par Laurent Perpère
Gustave Courbet occupe une place singulière dans l’histoire de la peinture du XIXe siècle. Ni romantique tardif ni pompier bien sûr, il peint en même temps que Degas et les premiers impressionnistes, mais ne fait nullement partie de ces mouvements. Exposé au Salon, mais aussi au salon des refusés, il est inclassable parmi ses contemporains, souvent méprisé et beaucoup collectionné en France et à l’étranger. Encore aujourd’hui, son tableau culte l‘Origine du monde nous fait négliger une toile aussi profonde que l’Enterrement à Ornans.
Au faîte de sa gloire, il participe à la Commune de Paris : la vengeance des Versaillais, hors de proportion avec ce qui lui est reproché, le ruine et l’exile en Suisse.
Pour répondre à l’intuition du peintre Jean de Gaspary, ami d’enfance de son père Claude et hôte de la famille pendant des années dans sa retraite du couvent de Pourrières, au pied de la Sainte-Victoire, Sandrine Treiner découvre en Gustave Courbet un frère de cœur, préfiguration et justification de l’engagement d’une vie.
Ce livre est l’histoire d’un dévoilement, à partir d’une question simple : pourquoi la chute de la colonne Vendôme, dont ses accusateurs lui ont imputé de façon grotesque la responsabilité, a-t-elle suscité tant de haine et une telle soif de vengeance? En d’autres termes, qu’y avait-il de si dérangeant dans la peinture de Courbet?
Sandrine Treiner donne une réponse centrale, essentielle : Courbet, socialiste et ami de Proudhon par ailleurs, a érigé le peuple, dans sa vie quotidienne, comme objet de peinture, et de grande peinture. Pas d’affèterie, pas d’héroïsme : la vérité de la fatigue, des corps éprouvés par la dureté de la vie, de la chair épanouie aussi.
En refusant de se plier, comme on le lui demande, à des codes ou des formes décidés par les commanditaires publics ou privés, en revendiquant la liberté absolue du peintre à choisir ses sujets et sa manière, Courbet fait scandale. Et pourtant il vend, et c’est cela que ses ennemis ne supportent pas.
Scandale artistique du réalisme, scandale social à montrer le peuple, scandale d’une liberté qui s’affiche à l’égard de tous, et même de Proudhon qui voudrait de lui une peinture plus militante.
« Nous étions de cette trempe qui pense qu’il faut changer le monde (…), qui croient vraiment qu’un tableau, un livre, une musique peuvent bouleverser l’ordre des choses, parce qu’ils avaient bouleversé le nôtre (…) Et c’était pourquoi il fallait que (les pauvres) entrent dans le musée comme s’ils étaient chez eux, parce que la peinture, depuis Courbet, leur parlait aussi d’eux. »
Artiste exemplaire parce qu’il a forcé la porte de la bien-pensance, comme son ami Baudelaire. Artiste contemporain, parce que ce combat pour la vérité et pour la liberté est un travail qui ne cesse jamais. Travail d’une vie, pour Sandrine Treiner, de sa vie.
Ma vie avec Courbet, de Sandrine Treiner, Editions Gallimard, collection Ma vie avec, octobre 2023