Haïti, chronique d’un naufrage annoncé
Selon Emmanuel Macron, les Haïtiens qui ont « viré » leur Premier ministre sont « complètement cons ». Au-delà de la brutalité du propos, retour sur un pays qui qui n’en finit pas de sombrer.
Depuis une semaine une vidéo traîne sur les réseaux sociaux. A l’image, on découvre le président Macron répondant à la question d’un Haïtien accusant la France et lui-même d’être responsable de la crise politique dans son pays. « Franchement, c’est les Haïtiens qui ont tué Haïti en laissant le narcotrafic. Et là ce qu’ils ont fait, le Premier ministre qui était super, ils l’ont viré. C’est terrible… Ils sont complètement cons ».
Cette scène a eu lieu la semaine dernière à Rio, peu avant le départ du Président français pour sa visite à Santiago du Chili.
Au-delà de la brutalité du propos, la séquence renvoie à la tragique situation dans laquelle se trouve Haïti. Le Premier ministre haïtien en question s’appelle Garry Conille, il a démissionné le 10 novembre à la suite d’un diffèrent avec le « Conseil Présidentiel de Transition » qui s’apposait à des changements de portefeuilles sur plusieurs ministères régaliens. Le lendemain, l’homme d’affaire Alix Didier Fils-Aimé, prêtait serment en promettant de rétablir la sécurité dans le pays.
Le passage aux affaires de Garry Conille n’aura duré que cinq mois et, déjà, sa désignation faisait suite au limogeage en avril dernier, d’un Premier ministre contesté, Ariel Henry, dont le gouvernement gérait l’intérim de la présidence de la République depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse en 2021.
Le mandat de Ariel Henry avait expiré le 29 février dernier mais il s’accrochait à son intérim et avait cru bon d’annoncer des élections pour le mois d’août 2025. Cette déclaration plongea le pays dans le chaos. Les manifestions exigeant son départ ont vite tourné à l’émeute, les gangs du narcotrafic sont entrés dans la danse, plusieurs bâtiments officiels et des ministères ont été attaqué à l’arme automatique. Enfin, le 3 mars, 3500 détenus s’évadaient des prisons de Port au Prince. Le gouvernement décrétait l’état d’urgence. Depuis lors, quelques 700.000 haïtiens ont fui la capitale pour se réfugier dans le reste du pays. Les violences opposent désormais directement les gangs aux groupes d’auto-défense crées dans certains quartiers.
C’est dans ces conditions que le « Conseil Présidentiel de Transition » a vu le jour en avril 2024. Composé de neuf personnalités, pour l’essentiel d’anciens ministres, chefs de partis et représentants du secteur privé, le conseil assure le pouvoir exécutif et doit en principe organiser des élections dans un délai de 22 mois.
Depuis les émeutes du printemps, les Haïtiens savent que c’est l’union des cartels de la drogue qui a chassé Ariel Henry du pouvoir. Les gangs se sont d’ailleurs rappelés au bon souvenir du nouveau Premier ministre intérimaire Garry Conille en tirant quelques rafales contre lui en juillet dernier : il a dû être exfiltré un temps en dehors de la capitale. La mafia de la drogue contrôle déjà 80% de Port-au-Prince, mais les spécialistes de Haïti estiment que la puissance des narcotrafiquants est telle que l’économie toute entière s’en trouve paralysée par le racket et la corruption.
L’été dernier, les Nations-Unies sont revenues sur place avec un contingent de quelques 400 soldats kenyans. Insuffisant pour suppléer à la police haïtienne déliquescente. Le 11 novembre, une ambulance de Médecins Sans Frontières a été attaqué par des policiers. L’intervention s’est soldée par la mort de deux patients. Le lendemain deux autres ambulances de MSF ont été arrêtées lors de contrôles accompagnés de menace de mort contre le personnel de l’ONG, présente en Haïti depuis plus de trente ans.
D’autres incidents se sont encore répétés dans les jours qui ont suivi confirmant un ciblage délibéré. L’ONG qui assure plus de mille consultations externes par jour dans la capitale vient de suspendre ses activités dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. « Chaque jour de suspension de nos activités est une tragédie », souligne le chef de la mission en Haïti, Christophe Garnier. Il ajoute : « Nous sommes l’un des rares prestataires de nombreux services médicaux restés ouverts durant cette année extrêmement difficile. Mais nous ne pouvons plus continuer à opérer dans un environnent où notre personnel risque d’être attaqué, violé, tué ».
Trois Premiers ministres en moins d’un an dans un pays qui n’a plus de président depuis 2021 et maintenant la paralysie des humanitaires. Haïti sombre sous le regard indifférent de la communauté internationale.