Haïti : les gangs au pouvoir ?

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 15/03/2024

Tout se passe comme si les gangs avaient pris le pouvoir en Haïti. Rien d’étonnant si l’on se souvient de l’histoire récente…

L’entretien récent donné par Daniel Grandclément au Journal.Info est terrifiant quant à la situation actuelle en Haïti. Un climat de terreur provoqué et alimenté par les gangs crée dans le pays un chaos sécuritaire et politique total. Le plus nouveau est que les principaux gangs, désormais maîtres de la capitale Port-au-Prince, ne se contentent plus d’appuyer tel ou tel leader politique corrompu. Face à une police impuissante, ils veulent désormais jouer un rôle politique en faisant planer la menace d’une guerre civile.

Cette situation n’est pas sans rappeler celle de 2004, avec un même chaos alimenté par des gangs, sans doute alors moins nombreux. Mais il avait provoqué le départ de l’ancien président-dictateur, Jean-Bertrand Aristide, revenu au pouvoir en 2000. Il avait fallu la mise en place de la Minustha (Mission des Nations-Unies pour la stabilisation d’Haïti créée par la résolution 1542 de l’ONU) pour rétablir l’ordre sécuritaire et politique.

Cette genèse des gangs, il faut le rappeler, trouve en grande partie son origine dans la décision prise en 1995 par le président Jean-Bertrand Aristide, sous forte pression américaine, de dissoudre les forces armées du pays. Décision étonnante parce que, jusqu’ici, et notamment pendant les périodes dictatoriales des Duvalier, père puis fils, l’armée avait toujours été un des piliers du système politique haïtien et de sa répression. Mais elle impliquait que les questions de police et sécurité en Haïti devenaient désormais les attributs des seuls Américains. 

La brutalité de cette décision a eu pour effet que de très nombreux soldats rentrèrent chez eux avec leurs armes et ne tardèrent pas à trouver d’autres moyens de les employer. Peu à peu une nouvelle « industrie » ne tarda pas à se développer au côté des activités traditionnelles des gangs comme le trafic de drogues ou la contrebande, celle du « kidnapping » à grande échelle, générant de gros revenus. Très vite les enlèvements ne portèrent plus seulement sur des Haïtiens plus ou moins fortunés, mais également sur des étrangers, touristes (de moins en moins nombreux) ou professionnels de l’humanitaire ou de l’aide internationale. Et autour des rapts eux-mêmes se sont mis en place des chaînes d’intermédiaires spécialisés dans la négociation, des intervenants sur le plan juridique, avocats et autres, en un embryon de branches d’activités à nombreuses ramifications.

Les gangs aujourd’hui ne cessent de se multiplier alimentés par les trafics en tout genre, avec eux les enlèvements, officiellement… 2500 en 2023. S’y ajoutent les milliers d’assassinats. La conjugaison de la crise sanitaire, des effets des tremblements de terre et autres calamités climatiques, et d’une situation politique plus que jamais détériorée depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, a évidemment encore accru l’impunité avec laquelle opèrent les gangs.

La réunion de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) qui s’est tenue le 11 mars à laquelle ont participé les États-Unis et la France, a obtenu la démission immédiate du gouvernement intérimaire de Ariel Henry et, avec la création d’un « conseil présidentiel provisoire » aux contours encore flous, devrait faciliter l’envoi sur place d’une force internationale d’intervention. On ne peut que souhaiter au peuple haïtien qu’il y ait là la piste d’une solution durable.

Jean-Paul de Gaudemar

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