Hamas : l’arme du viol

par Sandrine Treiner |  publié le 09/03/2024

Un rapport des Nations-Unies confirme les violences sexuelles de l’attaque du Hamas en Israël. Oui, mais quel était le but recherché ? Décryptage

Des combattants palestiniens de la branche armée du Hamas près de la frontière dans le centre de la bande de Gaza - Photo Majdi Fathi/Nur

Au terme de deux semaines de visites en Israël, Pramila Patten, la Représentante spéciale des Nations Unies sur la violence sexuelle dans les conflits, a rendu public un rapport avec les premières conclusions de son groupe d’experts. Il énonce avoir vérifié « des informations claires et convaincantes ». « Certains ont subi diverses formes de violences sexuelles liées aux conflits, y compris des viols et des tortures sexualisées, ainsi que des traitements cruels, inhumains et dégradants sexualisés ».

Il est toutefois étonnant de pointer les crimes sexuels commis contre les victimes du 7 octobre et contre les otages retenus à Gaza sans s’interroger sur leur signification. Pourquoi une action de commando, savamment organisée ayant visé une fête musicale de jeunes gens et des kibboutz, qui avait à l’évidence pour vocation de tuer le plus grand nombre d’Israéliens possibles, civils comme militaires, devient-elle l’occasion de viols, y compris de viols en réunions ? Pourquoi cette action du Hamas, organisation islamiste se réclamant d’une conception rigoriste des relations entre les hommes et les femmes, donne-t-elle lieu à des crimes sexuels ?

Ce sujet n’est apparu comme un enjeu important que depuis une vingtaine d’années, très largement grâce aux travaux des anthropologues à la suite des violences sexuelles durant le conflit dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda. Les études montraient alors que, loin d’être des cas isolés, ces crimes relevaient d’une forme d’universalité et avaient été par le passé constatés sous toutes les latitudes – et considérés comme des dommages de guerre collatéraux.

Ce n’est qu’en juin 2007 que le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une nouvelle résolution exigeant de toutes les parties engagées dans des conflits armés qu’elles prennent des mesures pour mettre fin aux viols et à tout autre acte de violence sexuelle contre des civils. La même année, le CICR (Comité International de la Croix-Rouge) lance la première campagne d’ampleur contre ces faits de guerre.

Comme l’explique l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe, le viol dans une situation de conflit ressort d’une démarche préméditée qui ne doit pas d’abord aux pulsions des violeurs. « Le viol de guerre est un crime de domination, mais aussi un crime de profanation », explique-t-elle. L’usage criminel de la sexualité vise la destruction morale de la victime et du groupe humain tout entier qu’elle représente alors. C’est l’identité même que l’on massacre. « Je te laisse pire que la mort », avait entendu la rwandaise Esther Mujawayo de la bouche d’un criminel hutu. 

Génocidaire dans son principe même, la décision délibérée de s’en prendre au corps des femmes est une manière de fracturer la communauté ennemie et de la détruire. C’est un crime sur la durée puisqu’il engage la menace de la grossesse. Sans compter la souillure qu’il représente. C’est ainsi que l’on peut comprendre que le rapport sur le 7 octobre pointe le  « manque de confiance des survivants des attaques du 7 octobre et des familles des otages envers les institutions nationales et internationales, dont l’ONU. » Les victimes répugnent à parler. Le virus de la honte, inoculé, porte une charge psychique mortelle.

Les membres du Hamas étaient-ils  payés pour violer et mutiler, comme certains l’avancent ? Attendons les enquêtes internationales. L’important de ne pas oublier que le viol en situation de conflit est un acte profondément politique. Une déclaration de guerre à une communauté et à ses descendants.

Sandrine Treiner

Editorialiste culture