Harcèlement : les profs aussi…

par Sandrine Treiner |  publié le 22/03/2024

 

Le film est une superbe fable sur le bien et le mal, la complexité des rapports de pouvoir et les effets de meutes

La Salle des profs - Allemagne/ Leonie Benesch -

Emprise, maltraitance, solitude des enseignants, racisme, fake news, théories du complot … les camps du bien et du mal sont-ils aussi clairement définis ? Autant de sujets qui se mêlent au cœur de La Salle des profs, film allemand, récemment nominé à l’Oscar du meilleur film étranger. La Salle des profs, réalisé par Ilker Çatak est le récit d’un cauchemar dans lequel chacun d’entre nous peut être pris un jour.

Il se déroule dans un collège – lycée représentatif des établissements publics de nos jours. Une nouvelle professeure est arrivée qui enseigne les mathématiques et l’éducation physique. Elle est attentive aux élèves et opposée à la toute-puissance de la direction. Des vols ont eu lieu dans la classe. Ali, un gamin d’origine turque a été accusé à tort, elle s’en est offusquée avec un certain courage.

Si elle couve d’un œil admiratif Oskar, le meilleur de la classe et fils de la surveillante générale, elle fait en sorte de laisser toutes leurs chances aux moins bons. C’est la prof rêvée, mais elle va connaître une descente aux enfers. Élèves et collègues vont se constituer en meute dénonciatrices, et elle va bientôt se trouver totalement isolée.

Métaphore de la société contemporaine, film écho au nazisme, ou les deux, le long-métrage de Ilker Catak semble guidé par la mise en scène d’une expérience scientifique, comme celle bien connue de Milgram. Perturbée par les vols, voilà que l’enseignante décide d’en avoir le cœur net et monte un piège en salle des profs. Elle laisse des billets de 20 euros dans sa veste posée sur sa chaise, branche la caméra de son ordinateur à proximité et va faire cours.

Lorsqu’elle revient, l’argent a disparu et la vidéo lui révèle l’identité de la coupable. Elle va la trouver et tente de la faire avouer en échange de son silence. Fâchée de la dénégation derrière laquelle l’autre se retranche, elle décide de faire en sorte que le bien triomphe et va dénoncer sa collègue auprès de la proviseure. À compter de ce moment, un cycle infernal se met en marche.

Était-il légitime de tendre le piège ? Ignorait-elle qu’il est interdit de filmer des personnes à leur insu ? Les catégories morales se brouillent et la machine à détruire se met en œuvre. L’enseignante fait face à ses collègues, aux élèves, à l’administration. Elle tente de se faire entendre, mais elle est devenue inaudible. Elle accepte d’être interviewée par le comité de rédaction du journal du lycée, mais l’article retourne ses explications et les taille en pièces : le bien a changé de camp.

Ce n’est pas la moindre des qualités de ce film que de montrer que toute bonne conscience est menacée de se retourner en mauvaise action. La Salle des profs est une fable sur la complexité des rapports de pouvoir. Il rappelle qu’il faut toujours se méfier des effets de meutes, lorsqu’elles croient agir de bon droit.

Sandrine Treiner

Editorialiste culture