Hélion le rebelle

par Jérôme Clément |  publié le 05/04/2024

À contre-courant de son temps, rebelle, capable de sublimer le quotidien, au musée d’Art moderne de Paris

D.R

Hélion est à la fois bien connu du milieu artistique, et assez peu du grand public. C’est que sa peinture, talentueuse et multiple, déconcerte les regards de ceux qui s’intéressent à l’art du XXe siècle. Né en 1904, mort en 1987, il a parcouru tout le siècle et connu tous les mouvements. Mais à la différence de beaucoup, il s’est toujours situé à contre-courant des lignes de force artistiques de son temps, indépendant, libre, obstinément original.

Il commence par l’abstraction, proche de Jean Arp, Pietr Mondrian ou Théo Van Doesburg : une peinture abstraite, géométrique, et des plans de couleur uniforme.

 Art concret, abstraction création, deux groupes auxquels il adhère avec ses amis, qui proposent des rectangles ou des formes géométriques simples, bleues, jaunes ou rouges. Les premières salles de l’exposition montrent ce travail dont deux grandes toiles sublimes sont au MOMA de New York et à la fondation Guggenheim à Venise. Il voyage beaucoup à New York notamment, où il épouse une Américaine, Jean Blair, rencontre Marcel Duchamp et André Breton, Miro, Tanguy et Calder, et expose à Los Angeles.

 C’est en 1939 qu’il peint sa dernière toile abstraite et revient à des têtes d’homme de face, de profil ou de dos, hommes au chapeau, l’un de ceux que l’on voit sur l’affiche annonçant l’exposition. De retour en France pour s’engager dans la résistance, il est fait prisonnier, s’évade, repart aux USA, écrit un livre « Ils ne m’auront pas ».

En vogue en Amérique au moment où l’abstraction s’épanouit, avec Pollock ou Rothko, il la quitte complètement, revient à Paris avec sa seconde femme Pegeen Guggenheim et peint le spectacle de la rue, les stations de métro parisien, les cyclistes, les étals de marchands, les employés dans un escalier, les musiciens au coin des rues, et beaucoup de citrouilles, qui deviennent ses sujets de prédilection.

Ce revirement est très mal accueilli à New York, et à Paris où il s’installe rue Michelet, près du Luxembourg, poursuivant une œuvre inclassable, qui se situe pour lui dans la continuité de sa précédente puisqu’il garde des lignes et des plans, des formes géométriques, mais qu’il assemble différemment à partir du spectacle de la vie courante.

Des femmes nues, parfois dans des situations déconcertantes, des paysages à Belle-Île, des mannequins dans la devanture d’un magasin, des vanités, des êtres humains, femmes ou hommes au chapeau lisant le journal, dégageant souvent en sentiment d’immense solitude, beaucoup de natures mortes, posés sur une table, des baguettes de pain, des trompettes ou des parapluies, mais aussi des toiles engagées, après 1968, « choses vues en mai ». Puis une longue série de toits de Paris, variation de gris de blanc et de rouge, d’une rare poésie. Presque aveugle, il continue à peindre, assisté de Jacqueline, sa troisième femme qui veille sur son œuvre depuis sa disparition.

Un peintre décidément inclassable, mais dont l’œuvre profonde forme un tout remarquable, le théâtre des apparences, comme il aimait le dire qu’il nous donne à voir et à comprendre.

Jérôme Clément

Editorialiste culture