François Hollande : «Après les Européennes, je serai présent !»
Fort de sa popularité rétablie, l’ancien président entend jouer tout son rôle dans la recomposition future de la gauche. Et peut-être plus ?
Le Journal.Info – Comment analysez-vous votre retour en grâce dans l’opinion ?
François Hollande – Je sais par expérience ce que sont les mouvements d’opinion. J’en ai suffisamment pâti par le passé pour ne pas rester lucide aujourd’hui. Ce retour en grâce tient au regard plus aigu, avec le recul, que l’opinion porte sur les décisions majeures que j’ai prises pendant mon mandat, dans le domaine international comme sur les questions économiques et sociales. Il tient aussi à la comparaison qui peut être établie avec ce qui se passe aujourd’hui en termes de méthode, de style, et de résultats.
Vous comparez ce style et ces résultats avec ceux d’Emmanuel Macron ?
Oui. Mais c’est le futur qui m’intéresse. Ce n’est pas une question de personne. En fait, rien ne sera possible pour la famille politique que je représente sans une force qui se reconstitue et se réorganise pour reprendre la première place au sein de la gauche et la conduire de nouveau vers le pouvoir.
Allez-vous participer à la campagne des Européennes ? Si oui, comment ?
J’y participe déjà, en publiant un livre destiné à informer les Françaises et les Français, les jeunes et les moins jeunes, sur ce qu’est vraiment l’Europe, ce qu’elle fait et ce qu’elle ne fait pas, ses compétences et ses limites, son rôle ses institutions. Je le fais aussi en insistant sur les enjeux de la période que nous vivons, notamment sur ce que l’Europe n’a jamais construit : une défense commune et un espace qui soit un modèle sur le plan écologique. Je m’exprime quand je suis sollicité, je participe à des réunions publiques si j’y suis invité. Mais je considère que c’est à Raphaël Glucksmann et à celles et ceux qui composent sa liste de mener la campagne. À ma manière et en restant à ma place, j’y contribue.
Quel est l’enjeu principal du scrutin ?
C’est de former une large coalition au Parlement qui permette à l’Europe d’avancer et au sein de laquelle le Parti socialiste européen soit la composante la plus forte.
Avec quel effet ?
Imposer un président de gauche à la tête de la Commission européenne. C’est ainsi que les institutions de l’Union sont conçues : le parti européen arrivé en tête peut réclamer légitimement la direction de la Commission. En l’occurrence, cette personnalité a déjà été désignée en cas de victoire, c’est le commissaire européen luxembourgeois Nicolas Schmit, un socialiste que je connais bien et qui a ma confiance. Sa désignation servirait les objectifs qui sont les nôtres : l’harmonisation sociale et la transition écologique.
Et le deuxième enjeu ?
Réduire, autant qu’il est possible, l’influence des extrêmes-droites au sein de ce Parlement européen.
« Les extrêmes-droites ne peuvent pas gagner. Elles sont divisées et minoritaires. En revanche, elles peuvent bloquer le système européen »
Vous craignez une victoire de l’extrême-droite à l’échelle européenne ?
Non. Les extrêmes-droites ne peuvent pas gagner. Elles sont divisées et minoritaires. Elles n’ont aucune perspective de pouvoir, sauf à nouer une alliance avec les conservateurs, ce que ceux-ci refusent. En revanche, elles peuvent bloquer le système européen en empêchant l’émergence d’une majorité, notamment sur les votes les plus progressistes. Cela s’est déjà produit, sur les questions d’environnement ou d’immigration. Elles peuvent aussi paralyser le fonctionnement du Conseil européen, qui représente les États et qui requiert, lui, des décisions à l’unanimité. Je pense par exemple à la Hongrie ou à l’Italie. Et imaginons la situation de l’Europe si la France, un jour, devait par malheur donner une majorité à l’extrême-droite…
Quelles seront les conséquences de ce scrutin sur la guerre d’Ukraine ?
Il décidera du degré et de l’intensité de l’aide que nous pouvons apporter à ce pays agressé, sur le plan militaire et sur le plan financier, à l’échelle de l’Europe et à l’échelle des gouvernements nationaux. Il entérinera ou non l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Il permettra enfin – ou non – d’avancer vers une défense commune, qui se développera forcément dans le cadre de l’Alliance atlantique.
Pouvez-vous donner un exemple de décision européenne qui dépende ce cette élection et qui touchera la vie quotidienne des Français ?
Plusieurs. Allons-nous créer une taxe aux frontières pour pénaliser les produits qui ne respectent pas nos normes environnementales ? Selon la réponse, les Français seront mieux ou moins bien protégés contre la dégradation de leur écosystème, quitte à payer plus cher certains produits, il faut le savoir. Allons-nous encourager davantage le développement des énergies renouvelables, l’isolation des logements et les mobilités plus douces ? La Commission européenne sera-t-elle autorisée à emprunter sur les marchés pour financer la transition écologique et la fabrication d’équipements militaires ? Enfin, l’Europe devra mettre en œuvre une politique migratoire respectueuse des droits, mais sérieuse quant à l’accueil qui peut être accordé à ceux qui réclament l’asile ou qui cherchent une situation économique meilleure que dans leur pays d’origine. C’est à l’Europe de protéger ses frontières. Les uns diront : il faut refuser tout le monde, les autres montreront que c’est en répartissant les nouveaux arrivants et en maîtrisant le flux migratoire que nous parviendrons à l’objectif.
Craignez-vous le succès du Rassemblement National, qui est largement en tête dans les enquêtes d’opinion ?
Je ne crains rien tant que les électeurs ne se sont pas prononcés. De plus, les élections européennes n’annoncent jamais les scrutins suivants. Mais c’est vrai qu’il y a en Europe une poussée des extrêmes-droites. Les peurs s’ajoutent les unes aux autres et la tentation du repli existe. Et surtout, l’extrême-droite est forte de nos faiblesses. C’est parce que les partis démocratiques sont particulièrement déficients que l’extrême-droite peut venir sur des terrains qui n’étaient pas les siens, parler aux catégories ouvrières qui sont tentées par le protectionnisme ou bien aux agriculteurs qui peuvent penser que la mondialisation les écrase. À nous de répondre à ces interrogations.
Est-ce un test pour le président de la République ?
Le président de la République restera en place quoi qu’il arrive. C’est un test pour son gouvernement et sa majorité et donc pour son éventuel successeur, qui pâtirait beaucoup du mauvais score d’une liste comprenant toutes les composantes de la majorité.
Espérez-vous le succès de Raphaël Glucksmann ?
Oui. Pour renforcer le rôle des sociaux-démocrates au Parlement européen, et aussi pour provoquer une recomposition du paysage politique en France. Il s’agit de faire renaître la grande famille de la gauche responsable. Il faut regrouper tous les Français qui veulent un changement de gauche, qu’ils aient voté hier pour Macron ou Mélenchon. Sans cette nouvelle force, la gauche perdra encore une fois au premier tour et si, d’aventure, elle accédait au second sur une ligne de radicalité, elle serait battue, y compris par la candidate d’extrême-droite.
Si la liste socialiste réalise un bon score, que faut-il faire ensuite ?
Procéder à la recomposition dont je parle. Le pire serait qu’il ne se passe rien. N’anticipons pas. Mais il faudra en tout état de cause lancer un processus de rassemblement et de rénovation, avec un nouveau projet, en s’appuyant sur l’union des générations et en faisant toute leur place à ceux qui incarnent l’avenir. Cela suppose aussi d’associer à cette démarche les forces vives que nous connaissons bien, les syndicats, les associations, les mouvements intellectuels et bien sûr les acteurs locaux, tous ces corps intermédiaires que le pouvoir a tellement négligés.
« Si la liste Glucksmann obtient un succès, les bases du rassemblement seront jetées. Il ne peut être question de revenir à l’état antérieur »
Cela implique-t-il un changement de ligne au sein du Parti socialiste ?
Cela suppose qu’il y ait au moins un congrès, qui organise une réconciliation générale entre ceux qui ont fait la NUPES et ceux qui se sont tenus à l’écart. Il faut aussi définir une ambition commune pour hisser la famille socialiste au plus haut. Il n’y a plus de NUPES. Si la liste Glucksmann obtient un succès, les bases du rassemblement seront jetées. Il ne peut être question de revenir à l’état antérieur.
Prendrez-vous une initiative à l’issue du scrutin ?
Ce n’est pas à moi de le faire. Mais je suis prêt à participer à tout effort de renouvellement et d’union. Aujourd’hui, on pense que la gauche n’est pas en état de revenir au pouvoir. Donc, il faut qu’on s’y mette tous. Tous, c’est-à-dire ceux qui ont exercé le pouvoir et ceux qui souhaitent le faire à l’avenir, ceux qui sont au Parti socialiste et ceux qui n’y sont pas. Si cela ne se produit pas, personne ne pourra dire en 2027 : « Ce n’est pas ma faute ». Si ! Ce sera de notre faute !
Quel rôle pour vous après les Européennes et avant la présidentielle ?
Je ferai tout pour aider. Je serai un aidant, aux deux sens du terme : pour aider dans la difficulté, mais surtout pour aider dans le renouveau.
Vous serez un recours ? Ou bien un candidat ?
Recours ? Ce n’est pas dans la tradition de la gauche. Candidat ? J’ai déjà été président. Je serai tout simplement présent !