L’Humus à deux visages de Gaspard Koenig
Les vers de terre n’étaient donc pas au goût des convives du Goncourt ni du Renaudot. Dommage. Par Laurent Perpère
Le roman de Gaspard Koenig, par son ambition, son écriture et son sujet, aurait sans doute mérité une visibilité grand public. Bonne raison pour en dire un mot.
Deux étudiants d’AgroParisTech que tout sépare assistent par hasard et désoeuvrement au cours d’un spécialiste des lombrics qui , on l’imagine, n’attire pas vraiment les autres ambitieux élèves ingénieurs agronomes. Fascination et enthousiasme pour ces petits animaux bien terre à terre et début d’une grande amitié. Il s’agit de rien moins que de sauver la planète grâce aux vers de terre, indispensables comme on le sait à la regénération des sols, et machines infatigables à recycler les déchets. « C’est l’humus qui sauvera l’Homme », proclame Marcel Combe en conclusion de sa conférence.
Gaspard Koenig trace à partir de cette prémisse deux destins divergents qui sont aussi deux voies d’action face à l’urgence écologique, et c’est là que commence la fable et le (très habile) roman.
Arthur, le fils de bourgeois, décide de s’installer sur deux hectares de campagne familiale et de démontrer comment l’inoculation de lombrics dans un sol empoisonné par des années de traitement aux engrais et aux pesticides rend à la terre sa fertilité et sa prodigalité supposées originelles. Comme on peut s’y attendre, la vie du néo-rural, pétri de bonnes intentions et de générosité, ne va pas être à la hauteur des attentes initiales, loin s’en faut. Refusant toute compromission, Arthur va s’enferrer dans une voie sans issue autre que le grand soir: ne dévoilons pas comment.
Kevin, fils de prolétaires de province, bricole un composteur individuel qu’il tente en vain de commercialiser. Poussé par une camarade du campus virtuose de la start-up et des slides, il passe à l’échelle supérieure, lève avec elle une dizaine de millions, industrialise le procédé, devient une étoile de la green tech. De compromis en compromis, il se plie aux exigences d’un capitalisme cynique dont il ne maîtrise pas les codes: cela ne se termine pour lui pas mieux que pour son ami Arthur.
Deux stratégies donc, deux visions de ce qu’on peut faire pour sauver la planète. Inutile d’insister sur la pertinence et la richesse de la reflexion: appliquée à l’écologie, elle est aussi au coeur de toute action politique.
Gaspard Koenig est trop malin et trop talentueux pour nous asséner un traité. Humus se lit comme un roman de Balzac, car il parle de son temps à partir de héros attachants et d’une galerie de personnages remarquablement campés. Son Illusions Perdues version 2023 montre une construction et une qualité d’écriture dignes de références classiques.
Mais aussi, on s’amuse énormément, comme d’une satire pleine de légèreté sur des sujets graves. Oui, décidément, dommage…
Humus, de Gaspard Koenig (Éditions de l’Observatoire, 2023)
Prix Transfuge : meilleur roman de langue française 2023
Prix Jean Giono 2023