IA versus Homo Sapiens : le match du siècle

par Jacques Treiner |  publié le 02/12/2023

Qui va gagner ? Qui peut contrôler l’autre, voire le détruire ? L’homme sera-t-il encore utile, nécessaire ? Questions un brin angoissantes

Image créée via un programme d'intelligence artificielle par Martin Bertrand- Photo Martin Bertrand / Hans Lucas

Tout progrès des usages de l’intelligence artificielle fait surgir subrepticement des interrogations : « et moi, vais-je continuer de servir à quelque chose ? » Prenons le cas si important de la reconnaissance d’image, dont les applications vont de la voiture autonome au diagnostic médical et à la reconnaissance faciale. Comment reconnaître l’image d’un chat ? Il y a toute sorte de chats, des blancs, des noirs, des gris surtout la nuit, et toute sorte de positions sous lesquelles un chat peut se présenter. On constitue donc une banque d’images de chats sous toutes les formes possibles.

Ensuite, devant une image nouvelle, le logiciel doit être capable d’aller chercher dans sa mémoire l’image qui lui ressemble le plus (les mathématiciens savent donner un sens informatique à la notion de «ressemblance »). Si c’est celle d’un chat, il donnera la bonne réponse : c’est un chat. Car les ordinateurs ne sont d’ailleurs pas spécialisés dans la reconnaissance des chats. Il y a aussi des chiens, et puis ces veaux, vaches, cochons, couvées…bref. Mais tout cela suppose de traiter des millions d’images !

Alors un doute s’installe subrepticement : un enfant de trois ans n’a manifestement pas besoin qu’on lui montre des millions d’images d’un éléphant ou d’un papillon avant qu’il soit capable de les reconnaître. Il interprète et généralise, et son corps et ses sens participent de ce processus. La force brute qu’utilise une IA n’est donc pas calquée sur le fonctionnement du cerveau humain.

Moyenne statistique

Ce qui pointe vers une autre différence de qualité : une IA est certes imbattable pour explorer une banque de données dans ses moindres recoins, elle le fait bien mieux qu’un esprit humain, mais sa réponse à une question posée reste confinée à cet espace de données, elle ne peut être qu’une moyenne statistique – avec des poids éventuellement très sophistiqués – de ce qu’on lui a fourni dans sa mémoire.

Peut-on alors espérer acquérir de la connaissance vraiment nouvelle par ces méthodes ? Certains répondent oui, jusqu’à même affirmer qu’on n’aura plus besoin, à l’avenir, de théories explicatives. Pourtant, contrairement à ce que véhicule la légende, ce n’est pas en accumulant les données concernant la chute des pommes que Newton eut l’idée des lois de la mécanique classique. Une bonne théorie ne se déduit pas de l’observation, elle s’invente et a une portée plus large que les phénomènes connus pour lesquelles elle a été élaborée.

Elle permet de prévoir de nouveaux éléments de la réalité : ainsi, les ondes électromagnétiques ont été découvertes expérimentalement vingt ans après avoir été prédites théoriquement, et les ondes gravitationnelles un siècle après la formulation théorique de la relativité générale par Einstein – théorie implémentée dans les GPS que nous utilisons tous les jours …  

On peut douter qu’une IA, prisonnière de sa banque de données, soit jamais capable d’en faire autant !

Jacques Treiner

Chroniqueur scientifique