Il faut diffuser « Promenade à Cracovie »!

par Sandrine Treiner |  publié le 02/07/2023

Ils se sont connus, enfants, dans le ghetto de Cracovie. Le cinéaste Roman Polanski et le photographe Ryszard Horowitz sont revenus arpenter les rues et leurs souvenirs. Un film, bouleversant, que les salles de cinéma refusent…

Le cinéaste Roman Polanski, aujourd’hui, a 90 ans. Et son ami, le photographe Ryshard Horowitz

Le cinéaste Roman Polanski, aujourd’hui, a 90 ans. Et son ami, le photographe Ryshard Horowitz, 84 ans. Pourtant, la caméra les filme, arpentant à pied les rues sur les traces de leur passé, non pas comme deux hommes âgés, mais comme deux enfants de 10 et 4 ans, qui se retrouvent là où ils se sont connus, dans le ghetto de Cracovie pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Retour à Cracovie, réalisé par deux jeunes cinéastes polonais, Mateusz Kudla et Anna Kokoszka -Romer, est un documentaire bouleversant. Fait de mots, de rires et de silences, où se disputent l’intelligence, l’humour et la pudeur, il suit la déambulation des deux hommes-enfants, leurs visites dans les appartements qu’ils ont habités, les photos jaunies du passé, recueille récits et émotions.

Pour mémoire, deux mille vieillards, enfants et malades seront tués dans les rues du ghetto à l’aide d’auxiliaires de police, ou déportés dans les camps de la mort. Les trois mille restants sont envoyés à Auschwitz-Birkenau, à 60 km de Cracovie. La grande majorité d’entre eux ne sont jamais revenus.

Roman Polanski a été sauvé par les Buchala, une famille de Polonais catholiques qu’il a fait reconnaître comme Justes parmi les nations. Il n’a plus jamais revu sa mère, déportée à Auschwitz. Le futur photographe Ryshard Horowitz, lui, est un survivant. Envoyé dans un premier temps dans un camp de travail, il arrive dans l’usine d’émaillage du célèbre Oscar Schindler, ce qui lui vaut une première fois, la vie sauve.

Un jour où Schindler est malencontreusement absent, il est lui aussi déporté à Auschwitz. A quatre ans, il sera l’un des plus jeunes à survivre et retrouvera ses parents après-guerre.
Le premier est le cinéaste que l’on sait, le second a fait carrière aux États-Unis, pionnier des effets spéciaux de la photographie.

C’est ce film remarquable qui n’a trouvé que deux salles dans l’hexagone pour le diffuser. Qu’importe la qualité du documentaire ou sa force mémorielle ! Dans la France d’aujourd’hui, on tremble de mettre à l’affiche un film qui porte le nom de Roman Polanski, même s’il restitue le ghetto de Cracovie.

Épargnons-nous les fausses polémiques. Il ne s’agit pas ici de remettre en question les accusations et le jugement pour viol dont le cinéaste a fait l’objet. Faut-il pour autant boycotter ce film ? Sa distributrice, Michèle Halberstadt a pourtant essuyé des refus. Les distributeurs les plus hypocrites mettent en cause de la qualité du film, les plus honnêtes reconnaissent craindre les protestations publiques.

De quoi réactiver l’éternel débat sur l’homme et l’œuvre. Peut-on séparer l’un de l’autre ? Sauf que la question ne se pose pas ici. D’une part, le film n’est pas signé de Roman Polanski. D’autre part, on ne voit pas quel code éthique, même au nom du féminisme, exigerait de passer à la trappe un film sur les persécutions contre les enfants juifs.


Si la morale commande quelque chose- lutter contre l’injustice et la barbarie -c’est de diffuser largement « Promenade à Cracovie ».

Sandrine Treiner

Editorialiste culture