Immigration : à contresens !

par Bernard Attali |  publié le 08/01/2024

Les débats politiques en France sur l’immigration semblent défier toute lecture rationnelle

Pourtant les faits parlent. Les vagues migratoires des prochaines années seront impossibles à arrêter, sauf à mettre des soldats tous les cent mètres à nos frontières. De plus nos pays vieillissants ont besoin de sang neuf. Alors pourquoi est-il si difficile de réfléchir à une politique équilibrée, j’allais dire « raisonnée » ?

En 1975, les déplacements au-delà des pays frontaliers concernaient moins de 80 millions de personnes pour, aujourd’hui, 260 millions, 3,5% de la population mondiale. La question n’est pas de les arrêter – tâche impossible – mais de les réguler dans des conditions humaines et économiques acceptables.

Face à de telles masses en mouvement, le débat récent sur projet de loi sur l’immigration devrait nous faire honte. Ouvrons les yeux. Contrairement à ce que les extrêmes nous chantent, la France compte moins d’immigrés que la moyenne des pays de l’OCDE, en proportion de sa population (10%). Et au moment où nous fermons la porte, nos concurrents les ouvrent davantage. Le jour même où nos Assemblées se mettaient d’accord pour une loi restrictive, l’Italie annonçait que 450 000 immigrants supplémentaires seraient acceptés dans la Péninsule au cours des prochaines années, dont 50 000 immédiatement…

Derrière les discours de façade nombreux sont les gouvernements qui tentent d’attirer plus que de rejeter.

En Grande-Bretagne, 1,2 million de personnes sont venues s’installer l’année dernière, un record absolu.

En Allemagne leur nombre a été plus élevé que lors de la crise migratoire de 2015.

En Espagne, un niveau record a également été atteint.

Aux USA la population étrangère est passée de 38 millions à 44 millions de 2008 à 2016, et devrait s’accroitre cette année d’un tiers de plus qu’avant la pandémie.

Au Canada, en 2022, la migration nette a plus que doublé par rapport au record précédent. Le monde riche est en plein boom de l’immigration, sa population née à l’étranger augmente plus rapidement que jamais dans l’histoire. Et nous continuons à le nier… tout en clamant qu’il faut améliorer l’attractivité du pays !

Nos concurrents savent ce qu’ils font. Les économies qui accueillent de nombreux migrants en tirent profit à terme : nouvelles forces de travail, nouveaux talents, nouvelles recettes fiscales, nouvelles cotisations sociales, nouveaux consommateurs… La diversité est source d’innovation et d’insertion dans l’économie mondiale. Aux États-Unis les immigrés représentent un quart des entrepreneurs et plus d’un tiers des professeurs d’université. Faut-il rappeler combien notre industrie pharmaceutique a été humiliée dans la course au vaccin contre le Covid 19 ? Et par qui ? Par Pfizer, entreprise multiculturelle, en collaboration avec BioNTech, licorne allemande fondée par des chercheurs d’origine turque. Et par Moderna, entreprise américaine fondée entre autres par un immigré libano-arménien établi en Suède et dirigé par un Français expatrié.

En réalité, nous avons fait le choix d’une immigration peu qualifiée souvent souhaitée (en douce) par les patrons, en lieu et place d’une politique d’accueil réfléchie et plus qualitative. Il n’est pas normal que la France soit aujourd’hui en Europe le dernier pays d’accueil des Ukrainiens, pourtant généralement très bien formés. Cette préférence inavouée pour l’immigration « bas de gamme » relève d’un calcul erroné qui nous coutera cher. D’autant que notre politique de lutte contre les entrées clandestines est un fiasco absolu, comme vient de le dire la Cour des Comptes.

Pourquoi ce repli, à contre-courant ? Pour ma part, j’entrevois quelques raisons, qu’il n’est pas politiquement correct d’afficher. D’abord l’origine géographique et culturelle de notre immigration, bref sa dominante musulmane. Il est clair que beaucoup de Français se méfient d’une population qu’ils considèrent comme moins facile à intégrer aujourd’hui qu’hier les Italiens ou les Polonais. Et quand on sait que 70% des jeunes musulmans pensent que la Charia est supérieure à la loi française… regardons la réalité en face : la France a peur de l’islam radical plus que de l’immigration.

Il faut plaindre la communauté musulmane de France, prise en otage par les plus extrémistes. Certes, on la souhaiterait plus claire dans son refus des intégristes radicalisés. Mais la grande majorité des 7 millions de musulmans en France souhaiteraient vivre ici leur foi dans le calme et la sérénité. Ici, chez eux.

Le vrai problème n’est pas dans le nombre d’entrants, mais dans la désintégration de notre système d’accueil. Hier nous avions le service national, une tradition de laïcité remontant aux Lumières, une culture ouvrière qui aidait à l’intégration des nouveaux arrivants, des associations de jeunesse et des mouvements d’éducation populaire, des maisons de quartier, des colonies de vacances… Rien n’est comparable aujourd’hui. Les gangs, les mafias… et les réseaux sociaux ont dissous les solidarités d’hier.

Dans ce contexte privilégier par des quotas une main-d’œuvre qualifiée n’est-ce pas une évidence ? Demander au candidat à l’entrée en France de respecter la laïcité, de connaitre notre langue et nos règles citoyennes, n’est-ce pas une nécessité ? Faire en sorte qu’ils soient orientés sur tout le territoire pour éviter concentration géographique excessive, n’est-ce pas la sagesse ?

Le Président avait souhaité « un compromis intelligent au service de l’intérêt général ». Au moment où nous nous apprêtons à saluer l’entrée au Panthéon du résistant arménien, Missak Manouchian, je m’interroge : où est ce compromis ?

Bernard Attali

Editorialiste