Immigration : on craint « l’invasion », on oublie l’évasion

par Marcelle Padovani |  publié le 25/10/2024

Une enquête de l’institut des statistiques italien met en avant un déséquilibre criant entre nombres d’arrivées et nombres de départs. Ce qui relativise pour le moins les réquisitoires anti-immigration.

Des migrants sont vus après leur débarquement par l'ONG Médecins sans frontières à Salerne, le 9 octobre 2023. Il y avait 258 migrants sur le bateau, dont des mineurs non accompagnés. (Photo STRINGER / Anadolu via AFP)



En Italie, on parle depuis longtemps d’un « déferlement des immigrés ». Pas un mot en revanche sur les « émigrés », ces Italiens qui délaissent la Péninsule et s’enfuient vers l’étranger. Les chiffres, pourtant, sont éloquents. Pour les six premiers mois de 2024, on enregistre 33 480 immigrés, quand on ne compte pas moins de 555 000 départs entre 2011 et 2023. En un mot, on glose sur « l’invasion » et on néglige l’évasion.

Pourtant, selon le rapport de la Fondation Nord-Est qui se base sur les enquêtes de l’ISTAT (équivalent italien de l’INSEE) et rendu public le 23 Octobre, la fuite des 18-35 ans hors patrie est repartie de plus belle.

Que des centaines de milliers de 18-35 ans aient préféré – sur douze ans – exploiter leurs diplômes ou leurs expériences de travail, au Royaume Uni, en Allemagne, en Suisse, en France, en Espagne, au Brésil, aux Etats Unis, aux Pays Bas, en Belgique ou encore en Australie, plutôt qu’en Italie, devrait faire réfléchir les anti-migrants par principe. Les uns partent, d’autres arrivent. Sans les seconds, la démographie italienne irait encore plus mal…

Ceux qui partent sont aussi utiles que ceux qui arrivent. D’autant qu’il ne s’agit nullement de voyages du désespoir, avec des pauvres hères affamés fuyant la misère italienne : ces voyageurs proviennent en majorité des régions les plus riches, telles que la Lombardie, la Vénétie, le Frioul, l’Emilie Romagne ou la Toscane.

Une autre information devrait susciter la réflexion : pour sept Italiens qui émigrent, il n’y a qu’un seul 18-35 ans venu de l’étranger qui s’installe durablement dans la Péninsule. Comme le souligne Luca Paolazzi, directeur scientifique de la Fondation Nord-Est : « L’échange est inégal et la perte de capital humain pour l’Italie est incontestable ». Financièrement, cela reviendrait à un manque à gagner estimé à 134 milliards d’euros sur une décennie.

Toujours selon le rapport de la Fondation Nord-Est, on comprend aussi pourquoi le phénomène de l’exil risque de s’enraciner à l’avenir : 87% des jeunes expatriés italiens évaluent positivement leur expérience à l’étranger, en raison du « salaire perçu », des « plus grandes opportunités de travail », de la « meilleure qualité de la vie » et des « occasions d’études complémentaires ».

Par-delà ce rapport dérangeant, quelques éléments pourraient enfin jouer en faveur d’une approche plus équilibrée du supposé danger « d’invasion des immigrés », notamment en la mettant en parallèle avec les carences démographiques italiennes.

Rappelons-le, l’Italie regroupe la population la plus vieillissante de l’Union européenne, avec plus d’un quart d’habitants âgés de soixante-cinq ans ou plus. De plus, les chiffres de la natalité ont cette année atteint un minimum historique depuis la proclamation de l’unité du pays.

Finalement, tout cela ne laisse rien présager de bon pour le marché du travail qui aurait donc besoin, à la fois, de plus d’immigrants et de moins d’émigrants.

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome