« Inapproprié »
Novlangue. De Newspeak, George Orwell, « 1984 ». Langage convenu et rigide destiné à dénaturer la réalité
Jugement, attitude, décision, considération, pensée, formule, projet, mot ou geste, petite bise ou compliment, arrêt de cour ou décision stratégique : tout menace aujourd’hui d’être « inapproprié ».
Donald Trump qualifie volontiers la question dérangeante d’un journaliste d’« inappropriée » alors que son geste sur une femme est également considéré comme « inapproprié » et que la décision de la justice qui s’ensuivra se verra sans doute à nouveau appliquer le même qualificatif par Donald-la-victime.Le collègue, l’ambassadeur, le critique, le politique, l’enseignant, le plumitif, tous redoutent le terrible adjectif d’origine yankee, apparu au début du XXe, qui, pour trop fleurir, semble voir son sens se tarir.
Le comminatoire « inapproprié » est le lointain descendant du latin « proprium » qui renvoie à un lien objectif strict d’appartenance, au rapport spécifique, communément admis, entre deux éléments. Or, le mot semble désormais privé de toute « appropriation » admise à quoi que ce soit si ce n’est à celui qui en fait usage : il est devenu un« hyperonyme », un terme englobant qui s’applique à tout et par conséquent à rien.
Il métamorphose la vie en un champ indistinct et sans hiérarchies communes de jugement où le sentiment éprouvé par le sujet-roi puritain d’un écart condamnable entre sa « position propre » et celle d’autrui vaut loi universelle… Est « inapproprié » ce qui ne me convient pas.
« Inapproprié », c’est le mot qui tranche sans critères partagés d’appropriation puisqu’il n’est propre qu’à celui qui tranche. « Inapproprié » est enfant d’arbitraire ! En somme, rien n’est moins « approprié » qu’« inapproprié »