Interdire le portable ? Mesure de gauche !
Nicole Belloubet, ministre démissionnaire de l’Éducation, veut expérimenter l’interdiction totale du téléphone portable au sein des établissements. Syndicats et élus protestent : ils ont tort.
Toujours cette double manie de récuser par principe les décisions ministérielles et de critiquer les contraintes, même quand elles sont utiles. Syndicats d’enseignants et élus locaux fustigent la ministre Belloubet parce qu’elle veut prohiber totalement l’usage des portables à l’école, en obligeant les élèves à les déposer le matin dans une boîte pour les reprendre le soir.
L’usage de ces fascinantes machines, que tout un chacun ou presque tient, désormais, pour une partie de son corps, est interdit dans les établissements. Mais on sait que la règle est souvent contournée et que le portable, qui doit en principe rester fermé, s’ouvre discrètement et souvent, occupant indûment l’attention des élèves au détriment du travail scolaire. La ministre ajoute que le même appareil est l’instrument principal des pratiques de harcèlement entre élèves qui ont souvent mené à des drames lamentables.
Les syndicalistes objectent, selon une antienne routinière, qu’il y manque des moyens, que la mesure est « un gadget », que le vrai problème est ailleurs, que la mesure est autoritaire, etc. Le lecteur du Monde qui compulsera dans l’auguste journal le compte-rendu de ces protestations relèvera un détail comique. Au milieu de l’article est insérée la référence à une enquête menée dans un établissement de la Réunion qui interdit totalement le portable depuis trois ans. Il en ressort que cette prohibition satisfait parents, élèves et enseignants et que les obstacles matériels ont été surmontés sans difficulté. Ainsi ce qui semble malaisé et coûteux en métropole, si l’on en croit les syndicalistes, est mis en œuvre sans heurts depuis trois ans dans ce lointain département.
Car le fond de l’affaire est celui-ci : l’interdiction n’est pas une mesure « technophobe » ou rétrograde proposée par des ennemis du progrès numérique. Elle est de toute évidence sociale. Si un rejeton de bourgeois – ou de bobo – est distrait à l’école par l’usage inconsidéré du petit appareil, il a toujours le moyen de se rattraper à domicile, dans un environnement culturellement propice et matériellement confortable. Tandis que l’enfant d’une famille modeste qui ne se concentre pas à l’école n’aura que rarement le moyen de compenser son manque d’attention par le travail chez lui, où l’héritage culturel n’est pas le même et où les conditions matérielles sont plus difficiles. Dans l’intérêt des classes défavorisées, l’école doit demeurer un sanctuaire du savoir et un havre pour l’étude. Tout ce qui vient perturber ce principe – le portable entre autres – est un obstacle supplémentaire élevé sur le difficile chemin de l’égalité des chances.