Iran : film, vie, liberté
Mohammad Rasoulof raconte de l’intérieur – et en intérieur – les déchirements de l’Iran des mollahs. Le mouvement Femme, vie, liberté a trouvé son cinéaste.
En mai 2010, le réalisateur Jafar Panahi, l’un des chefs de file de la nouvelle vague du cinéma iranien, était invité à faire partie du jury du festival de Cannes. Mais quand le rideau s’est levé sur le jury présidé par Tim Burton, sa chaise était vide. Et pour cause : il était en prison pour avoir « préparé un film contre le régime portant sur les événements post-électoraux. » En clair, sur les manifestations déclenchées à la suite de la réélection contestée du président Mahmoud Ahmanidejad en juin 2009. Assigné à résidence, cela ne l’a pas empêché ensuite de tourner clandestinement, parfois avec un simple iPhone, un long-métrage ironiquement titré « Ceci n’est pas un film » qui a fait le tour du monde.
C’est tout aussi illégalement que Mohammad Rasoulof a tourné Les Graines du figuier sauvage dont l’essentiel des scènes sont filmées en intérieur, rideaux et volets tirés. En 2017, Rasoulof, avait été primé à Cannes pour l’excellent et troublant Un homme intègre. À la suite de quoi il vit son passeport supprimé avec interdiction de quitter le territoire. Le 8 mai 2024, juste avant le Festival, il est condamné à huit années de prison pour « collusion contre la sécurité nationale ». Pourtant, quelques jours plus tard, Rasoulof était à Cannes avec son équipe pour la présentation de son film en compétition : il avait réussi à s’échapper clandestinement d’Iran. Tout comme ses trois merveilleuses actrices, Niousha Ahsi, Mahsa Rostami et Setareh Malki, aujourd’hui exilées à Berlin. Le film récoltera un prix spécial, là où la plupart des critiques le voyaient remporter haut-la-main la palme d’or.
Le film suit la terrifiante descente aux enfers d’une famille bourgeoise de Téhéran. Le père, Iman, vient d’obtenir une promotion de procureur auprès des tribunaux populaires. Son épouse, Nehjma, le soutient, satisfaite du grand logement qui va avec la fonction. Leurs deux filles, Rezvan et Saba, sont tenues dans l’ignorance du réel métier de leur père. Mais l’équilibre de ce microcosme familial implose quand, à la suite de l’assassinat de la jeune Masha Amini par la police des mœurs, naît le mouvement de protestation Femme, vie, liberté.
Rezvan et Saba suivent les événements sur les réseaux sociaux tandis que leurs parents se contentent des comptes-rendus falsifiés des événements à la télé. Peu à peu, les jeunes filles découvrent la vraie nature du métier de leur père. Leurs yeux se décillent tout à fait quand leur meilleure amie est défigurée par un tir dans une manifestation, puis arrêtée.
D’un côté, la fidélité d’Iman est mise en cause par sa hiérarchie qui le prend dans son collimateur. De l’autre, son visage et son adresse apparaissent sur les réseaux sociaux animés par les contestataires. Sa paranoïa monte d’un cran. En porte-à faux avec sa hiérarchie, traqué par les militants de Femme, vie, liberté, accusé par ses filles, bientôt rejoints par leur mère, de servir le camp des bourreaux, Iman perd des pédales. Le drame culmine lors d’une longue séquence digne de La Nuit du Chasseur. Impeccable dans sa mise en scène, Les graines du figuier sauvage témoigne de la paranoïa qui ronge la société iranienne, démultipliée par les technologies au service du pouvoir mais aussi des réseaux sociaux. Imparable et glaçant.
Les Graines du figuier sauvage de Mohammed Rassoulof, 2h48 mn