Iran-Tunisie : les liaisons dangereuses

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 07/06/2024

Étrange rapprochement entre la Tunisie sunnite et l’Iran chiite. Pour lutter contre l’isolement ? Ou tentation commune pour la théocratie ?

Le président tunisien Kais Saied participe au deuxième jour du sommet de l'Union européenne (UE) et de l'Union africaine (UA) à Bruxelles- Photo JOHANNA GERON

Le 22 mai dernier, à l’occasion des obsèques du président iranien Raïssi, le Tunisien Kais Saied fut l’un des rares chefs d’État à se rendre à Téhéran. Quelques heures plus tard, le ministère du Commerce et du Développement de Tunis se préparait à mettre en place la Commission mixte tuniso-iranienne qui doit se tenir prochainement. Comment comprendre ce rapprochement ? Les deux pays échangent bien peu entre eux. Le commerce de l’Iran vers le continent africain ne représente que 1% de ses échanges extérieurs. Tunis n’a d’ailleurs pas grand-chose à offrir à la République islamique sinon du phosphate et des engrais.

Mais les deux pays connaissent un même isolement, motivé par des raisons différentes. Pour l’Iran, l’Afrique en général, est considérée comme une cible privilégiée de ses échanges internationaux à venir. Ses principaux partenaires étaient jusqu’ici l’Afrique du Sud, le Mozambique et le Ghana, mais la Tunisie offre une autre porte d’entrée sur des marchés convoités, en tant que partenaire privilégié de l’Union européenne, membre potentiel de la future ZLECAF (zone de libre-échange africaine), membre d’une autre zone régionale de libre-échange (Comesa) et proche de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao).

 L’isolement tunisien est d’une autre nature. Pas encore diplomatique, malgré les excès du régime, notamment vis-à-vis des migrants africains, mais d’abord financier, tant l’économie est en berne. Saied semble avoir refusé l’aide importante du FMI, parce qu’il considère que les conditions de ce prêt sont inacceptables et dépossède le pays de sa souveraineté. Mais ce refus le coupe d’autres garanties financières telles celles des États-Unis, mais aussi de l’Arabie Saoudite qu’il sollicitait. Le Qatar, les Émirats arabes et l’Algérie, pour des raisons plus politiques, ont de fortes réticences à le soutenir.

Les pays « amis » se font donc rares. Malgré un déplacement très récent en Chine et en Russie, le président tunisien reste donc sans soutien sérieux à un moment crucial pour son pays. Si Saied ne peut guère se faire d’illusions sur la capacité du régime iranien à le sortir de ce mauvais pas financier. Seuls des partenariats entre entreprises pourraient être possibles dans le domaine de numérique ou de certaines industries. À condition que les entreprises tunisiennes ne craignent pas des sanctions américaines ou des réactions de l’Union européenne.

La situation économique et financière n’est pas la seule raison de cette fascination de Saied pour l’Iran. D’une part, la question chiite rencontre un certain écho dans la très sunnite Tunisie, notamment dans le sud du pays autour de Gabès. D’autre part, et surtout, le régime iranien et sa Constitution par laquelle le Guide suprême dispose d’un pouvoir absolu, lui apparait comme un modèle, et correspond à sa pratique du pouvoir. La Tunisie, peut-elle accepter un tel Guide suprême et un nouvel affront à ce qui était sa vitalité démocratique ?

Jean-Paul de Gaudemar

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