Irresponsabilité générale
Depuis les dernières législatives, les règles du jeu politique ont changé. Pourtant la classe politique n’en tient aucun compte et s’apprête à plonger le pays dans une crise supplémentaire.
Il n’était pas besoin d’être grand clerc pour constater, au lendemain des dernières législatives, que la vie politique ne pouvait plus obéir aux mêmes règles. Un président désavoué, qui perdait l’essentiel de ses pouvoirs ; un Parlement sans majorité et donc menacé d’instabilité chronique. Au lieu de reconnaître ces faits évidents, la classe politique, tous partis confondus, a fait comme si de rien d’était.
Trois minutes après l’annonce du résultat, Jean-Luc Mélenchon a demandé l’application intégrale de son programme, comme s’il disposait d’une majorité à l’ancienne. Par pleutrerie tactique, les socialistes ont laissé faire. Pendant trois mois, la gauche a ainsi vécu sur le mythe Lucie Castets, qui n’avait en fait aucune chance de pouvoir gouverner.
La gauche était arrivée en tête. Au lieu de laisser le Parlement démontrer qu’il n’en voulait pas, le président a cru qu’il était toujours le maître du jeu. Il a refusé de la nommer d’emblée, quitte à ce qu’elle soit renversée, et laissé le pays dans l’incertitude pendant trois mois.
Paralysés par les imprécations de Mélenchon, les socialistes ont joué son jeu. Alors qu’il n’y avait d’autre solution crédible que d’élargir la très faible majorité relative du NFP vers le centre, ils ont continué à faire comme si la gauche pouvait gouverner seule. Refusant toute coalition au-delà du NFP, ils ont torpillé la solution Cazeneuve, ouvrant la voie à la droite.
Croyant que le jour de gloire était arrivé, la droite a vu dans la nomination de Michel Barnier la possibilité de gouverner comme si elle avait gagné les élections, alors qu’elle les avait perdues. Plus petit parti de l’Assemblée, LR s’est comporté en formation majoritaire. Symétriquement, obsédés par la prochaine présidentielle, les centristes, plutôt que de chercher des compromis, ont déclenché contre Barnier une guérilla délétère, alors qu’ils étaient condamnés à s’entendre avec le Premier ministre (sinon pourquoi faite une coalition ?).
Enfin, oubliant qu’il n’y a pas de majorité dans l’Assemblée, la gauche s’apprête à voter une motion de censure contre Barnier sans avoir la moindre idée de quelle équipe, de quelle coalition pourrait remplacer le gouvernement en place. Du coup, elle favorise la stratégie de LFI, qui est la même que celle du RN : provoquer une crise de régime qui obligera Emmanuel Macron à démissionner.
Ainsi, après avoir pendant des années fustigé la « monarchie républicaine », le pouvoir « vertical » de l’Élysée, exigé à longs cris la revalorisation du rôle du Parlement, gauche et extrême-droite, solidaires pour voter la censure, ne proposent d’autre solution que d’élire un nouveau monarque républicain, Le Pen ou Mélenchon (à moins que ce ne soit Édouard Philippe), pour trancher le nœud gordien. Le transfert du pouvoir au Parlement était l’occasion de monter que la démocratisation du pouvoir en France était possible, fondée sur la responsabilité des acteurs et la naissance d’une culture du compromis. En votant majoritairement la censure, les députés, tels des enfants qui cassent leur jouet et se réfugient dans les jupes de leur mère, démontreront que le Parlement est incapable de gouverner et que le pays ne saurait vivre sans roi dans la République.