Islamisme : l’embarras de la gauche

par Laurent Joffrin |  publié le 15/10/2023

Certains croient encore que les crimes du terrorisme islamiste sont une manifestation dévoyée de la lutte des classes. Funeste contresens…

Laurent Joffrin

Toujours cette gêne diffuse dans une partie de la gauche, autour de l’acte barbare commis contre Dominique Bernard. La compassion et la solidarité sont entières, bien sûr, tout comme la condamnation du terrorisme. Seulement voilà : le crime a été commis par un jeune homme issu d’une famille de sans-papiers, ceux-là mêmes que cette gauche défend depuis des lustres, ceux-là mêmes, en l’occurrence, dont plusieurs ONG de Rennes ont empêché l’expulsion il y a neuf ans. Un embarras qu’on détecte quand beaucoup se contentent de parler d’une « attaque au couteau », quand il s’agit bien d’un assassinat islamiste perpétré par un fanatique pour commémorer la barbare décapitation de Samuel Paty il y a trois ans.

Au fond de cette conscience tourmentée, on ne trouve pas seulement le souci de l’état de droit, la peur de « l’amalgame » avec la masse des musulmans ou la crainte – justifiée – de voir l’extrême-droite en tirer parti. Mais aussi le sentiment diffus que les islamistes sont l’expression – certes dévoyée, condamnable, haïssable même, dans ses moyens – de la protestation des nouveaux damnés de la terre, de la colère des réprouvés de la planète, en quelque sorte une expression grimaçante et violente de la lutte des classes.

Si bien que souvent, plutôt que de réfléchir concrètement aux moyens de combattre cette doctrine tyrannique, on détourne le regard, ou bien on se réfugie dans des déclarations générales sur les inégalités sociales, dont la disparition, ou la diminution, permettrait de faire reculer l’intégrisme religieux et le terrorisme. Comme si on continuait de penser que c’est le capitalisme somme toute qui engendre l’islamisme.

Il faut le dire tout net : il n’y a là que confusion, et cette confusion fait obstacle à la nécessaire lutte contre une idéologie mortifère qui se situe à l’opposé de toutes les valeurs de la gauche. L’islamisme n’a rien à voir avec l’émancipation populaire à laquelle aspirent les progressistes. D’abord parce que dans cette interprétation littérale et autoritaire de l’islam, les questions sociales sont très secondaires. Il ne s’agit pas, pour ses théoriciens, de lutter contre le capitalisme et ses tares, mais bien plus contre la démocratie et ses libertés.

On constate d’ailleurs que les pays qui pratiquent l’islam le plus rigoriste ne sont pas les moins capitalistes : l’Iran obéit aux règles de l’économie de marché et du profit ; quant aux monarchies du Golfe, le moins qu’on puisse dire est que la lutte contre les inégalités sociales n’est pas leur spécialité première.

Ce qui les révulse dans l’Occident, ce n’est pas l’exploitation des salariés ou l’arrogance des riches. C’est l’incroyance répandue, la laïcité défendue, la critique des religions permise, la liberté des mœurs affichée et, au premier chef, l’émancipation des femmes encouragée. Quant au racisme, ils en ont une vision très particulière. L’antisémitisme ne les gêne pas : ils le pratiquent volontiers.

C’est « l’islamophobie » qui les mobilise, dont on doit rappeler qu’elle n’est pas un racisme, mais une allergie à la religion musulmane, ce qui n’est pas la même chose. En un mot, les islamistes n’attaquent pas le modèle occidental pour ce qu’il a de négatif, mais précisément pour ce qu’il a de positif. Et s’ils rejettent la démocratie, c’est pour ses qualités, non pour ses défauts.

Dans ces conditions, on ne voit pas ce qu’il y aurait de progressiste à ménager les islamistes de quelque manière que ce soit, à les écouter parfois comme des messagers de la misère, alors qu’ils sont ceux de l’obscurantisme et de la tyrannie. On se soucie avec raison des progrès de l’extrême-droite en Europe. Mais dans le classement des doctrines politiques, on ne voit pas en quoi l’islamisme serait moins dangereux, même quand il s’abstient de recourir à des moyens violents. On peut même avancer sans trop de risque que le projet identitaire et autoritaire des intégristes, fondé sur une doctrine obscurantiste et oppressive, est en fait l’expression d’une sorte d’extrême-droite de l’islam.

C’est d’ailleurs ainsi que le ressent la gauche démocratique dans les pays musulmans. Voilà pourquoi on a raison de se révolter, non seulement contre le terrorisme, mais contre la funeste idéologie qui le justifie.    

Laurent Joffrin