Israël «créé par l’ONU»?
Le vote de l’organisation le 29 novembre 1947, sur lequel Ben Gourion s’est appuyé pour proclamer l’indépendance de l’État juif, a joué un rôle décisif. Même si Israël a d’abord été créé par le mouvement sioniste.
La première victime des temps de guerre, c’est la vérité. Une nouvelle fois, l’adage se vérifie, cette fois dans le débat saumâtre qui oppose Emmanuel Macron à Benyamin Netanyahou et, en France, aux Conseil représentatif des institutions juives. Irrité – on le serait à moins – par les actions d’intimidation menées par l’armée israélienne contre les soldats de l’ONU déployés au sud Liban, parmi lesquels figurent des soldats français, le président de la République a déclaré en Conseil des Ministres que le Premier ministre israélien devrait se souvenir que « son pays a été créé par une décision de l’ONU ».
Aussitôt Netanyahou a répliqué que « ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a établi l’Etat d’Israël, mais plutôt la victoire obtenue dans la guerre d’indépendance avec le sang de combattants héroïques, dont beaucoup étaient des survivants de l’Holocauste – notamment du régime de Vichy en France ». En France, le président du CRIF, Yonathan Arfi, a joint sa voix à celle de Netanyahou en déclarant que « les propos attribués au président de la République, s’ils sont confirmés, sont une faute à la fois historique et politique (…) Laisser penser que la création de l’Etat d’Israël est le fruit d’une décision politique de l’ONU, c’est méconnaître l’histoire centenaire du sionisme. »
La vérité, dans cette affaire, n’est ni d’un côté ni de l’autre, ou bien des deux à la fois. C’est un fait que la création de l’État d’Israël est le résultat de la longue marche du sionisme, enclenchée à la fin du 19ème siècle par Theodor Herzl, continuée par les habitants du « Yishouv », les Juifs du territoire placé sous mandat britannique, puis victorieuse grâce à leur combat de la guerre de 1948-49 contre les armées arabes. Selon les propos rapportés, Macron s’en est tenu dans sa déclaration à la résolution de l’ONU de 1947, sur le partage de l’ancienne Palestine en deux États. Il a donc péché par omission.
Mais la partie adverse est mal avisée de sous-estimer le rôle des organisations internationales. C’est bien le vote de l’ONU en 1947, qui a permis, quelques mois plus tard à David Ben Gourion de proclamer la naissance de l’État d’Israël en s’appuyant sur la légalité internationale, de même que la « déclaration Balfour » de 1917 a donné au mouvement sioniste une impulsion précieuse. En un mot, Israël s’est fait lui-même, mais il a été aidé de manière décisive par l’ONU et par la « communauté internationale ».
Ces deux visions tronquées de l’Histoire reflètent en fait les positions respectives d’Israël et de ses alliés occidentaux. Ceux-ci sont heurtés par les agressions israéliennes contre les troupes de l’ONU. Mais le gouvernement israélien reproche à la Finul, la force d’interposition de l’ONU, d’avoir laissé le Hezbollah créer à sa frontière nord un réseau de tunnels et de batteries, parfois à quelques centaines de mètres des campements de la Finul, qui permettent à la milice d’attaquer son territoire. D’une manière plus générale, le gouvernement Netanyahou refuse toutes les demandes de cessez-le-feu présentées par l’ONU, les Américains ou par les Européens, considérant qu’il est le seul à pouvoir déterminer sa tactique et sa stratégie. Il entretien même à dessein le mythe de sa « solitude », alors même qu’il bénéficie du soutien constant et tangible de la première puissance militaire du globe.
Le gouvernement Netanyahou n’aime pas l’ONU, qu’il accuse de partialité : il minimise rétrospectivement son rôle a moment de l’indépendance et laisse entendre qu’Israël ne doit son existence qu’à la force, vieux débat qui a divisé le mouvement sioniste, les uns prônant la négociation avec les Palestiniens, les autres (Jabotinsky notamment) s’en remettant à la seule puissance militaire. La France et bien d’autres nations craignent l’embrasement général de la région et défendent les résolutions de l’ONU, seules à même d’ouvrir la voie de la paix : elles valorisent son rôle historique. Ainsi écrit-on l’Histoire en temps de guerre.