Israël dans l’impasse
La prolongation indéfinie de la guerre de Gaza obscurcit l’avenir des Israéliens.
Laurent Joffrin
Après sept mois de guerre, où en est Israël ? Nulle part. Au-delà de l’indignation suscitée par les pertes humaines à Gaza – lesquelles heurtent n’importe quel observateur de bonne foi, comme a heurté l’attaque barbare du 7 octobre –, il faut aussi dresser un bilan lucide de la guerre en cours.
- L’objectif officiellement fixé n’est pas atteint, loin s’en faut. Certes affaibli, le Hamas n’est pas « éradiqué ». Il combat toujours, ses principaux chefs sont toujours là et c’est avec lui que le gouvernement Netanyahou doit négocier une trêve éventuelle.
- La prolongation acharnée de la guerre a dégradé comme jamais l’image d’Israël dans le monde. Les pays du Sud condamnent presque tous la poursuite de l’offensive, tout comme les alliés traditionnels du pays, à commencer par les États-Unis, qui menacent maintenant d’interrompre les livraisons de munitions. Une partie de la jeunesse occidentale a basculé dans un activisme propalestinien radical. Les Juifs du monde entier vivent désormais dans un climat hostile, qui oblige les démocraties à lancer de nécessaires campagnes contre la montée de l’antisémitisme.
- Le sacrifice systématique des civils de Gaza, dans des proportions inédites, tout comme le déplacement forcé des populations, s’apparentent à des crimes de guerre. À la demande de l’Afrique du Sud, l’ONU a estimé qu’il y avait « un risque de génocide » à Gaza. Même si cette dénomination nourrit une campagne mensongère sur le « génocide en cours », alors que l’ONU n’a pas dit cela, le simple usage du mot, même conditionnel ou préventif, mine la réputation de l’État hébreu.
- Défaillant le 7 octobre, le gouvernement Netanyahou est soupçonné par toutes sortes d’experts crédibles et d’autorités responsables d’avoir favorisé le Hamas pour affaiblir l’autorité palestinienne et écarter toute solution à deux États. Il est maintenant accusé de prolonger la guerre pour se maintenir en place. Pire : on redoute que le conflit se poursuive encore plusieurs mois, dans l’espoir de voir Donald Trump l’emporter en novembre prochain. Déjà, les protestations des propalestiniens aux États-Unis, dont certains se trouvent au sein du Parti démocrate, font craindre un vote anti-Biden venu de la gauche dans les « swing states », qui assurerait la victoire de Trump et placerait les Européens dans une situation très délicate.
- Un jour, un rapport militaire précis montrera peut-être – l’hypothèse n’est pas invraisemblable – que des opérations ciblées et plus limitées, moins meurtrières pour les civils, en usant des services spéciaux notamment, comme Israël en a souvent mené par le passé, auraient été plus efficaces pour affaiblir le potentiel terroriste du Hamas et atteindre ses dirigeants. Leurs résultats auraient peut-être été meilleurs que cette offensive brutale et sommaire décidée pour des motifs politiques – le maintien de la coalition avec l’extrême-droite – plus que stratégiques.
- Le pire peut-être: en poursuivant les combats au sud de Gaza, au risque de nouvelles pertes civiles massives, Israël avance à l’aveugle. Le noyau dur du Hamas reste introuvable, alors que l’enclave est détruite aux deux tiers et que les pertes civiles, hommes, femmes, enfants, militants humanitaires ou journalistes, continuent de s’amonceler. Cette guerre ne débouche sur aucune perspective de règlement crédible et le refus obsessionnel de tout État palestinien de la part de la droite israélienne conduit à un conflit sans fin, à une nouvelle guerre de cent ans. Elle suscitera d’autres réactions désespérées chez les Palestiniens et obscurcira, pour encore une génération au moins, l’avenir du peuple israélien.
Par Laurent Joffrin