Israël : l’effrayante régression

par Laurent Joffrin |  publié le 24/07/2023

La Knesset a voté la réduction des pouvoirs de la Cour suprême, au risque de menacer les principes essentiels qui protégeaient la liberté des citoyens israéliens et les valeurs du pays

Laurent Joffrin

La démocratie israélienne va-t-elle rester… démocratique ? La question se pose avec une brûlante actualité depuis que la Knesset a voté hier la principale disposition de la réforme de la Cour suprême défendue par le gouvernement Netanyahou. Celle-ci limite de manière dangereuse les pouvoirs de contrôle exercé par les juges suprêmes sur les lois ordinaires et laisse le champ libre à la majorité d’extrême-droite sur laquelle s’appuie le Premier ministre israélien.

Comment une disposition démocratiquement votée, diront les esprits simples ou étourdis, peut-elle menacer la démocratie ? C’est toute la question. Contrairement à ce qu’on entend parfois, il ne suffit pas qu’une politique soit conforme au vœu majoritaire pour mériter le qualificatif de « démocratique ». Pour prendre un exemple extrême, si une démocratie décide librement d’instaurer une dictature, elle cesse d’être une démocratie.

C’est à partir de cette constatation élémentaire que les premiers théoriciens des régimes de liberté ont posé le principe de la séparation des pouvoirs. Pour Montesquieu, le premier à formuler clairement cette règle, le pouvoir du Parlement, comme celui du gouvernement, doit être encadré par une loi fondamentale qui garantit les libertés publiques et d’une manière plus générale, le respect des valeurs fondatrices du système démocratique.

Seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir : c’est pourquoi toutes les démocraties du monde se sont dotées d’une Cour suprême qui équilibre les prérogatives du gouvernement, au besoin en annulant les lois qu’elle juge contraires aux valeurs fondamentales, même si elles sont régulièrement votées par une assemblée élue.

C’est cette disposition, essentielle à la protection des droits des citoyens, que l’extrême-droite israélienne cherche, sinon à abroger, du moins à réduire de manière draconienne. Au grand dam d’une grande partie de la population, qui manifeste massivement depuis que Benjamin Netanyahou s’est lancé dans cette entreprise de démolition.

L’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, a résumé m’affaire de manière limpide. « Le projet de loi, a-t-il déclaré, portera gravement atteinte aux valeurs fondamentales d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, et menacera de saper l’État de droit, la bonne gouvernance, la moralité du régime et les droits fondamentaux de chaque personne en Israël ».

La dénonciation du « gouvernement des juges » est une antienne de l’extrême-droite dans beaucoup de pays. C’est la logique du populisme : rien ne doit limiter la souveraineté populaire, qui peut s’affranchir comme bon lui semble des principes de liberté. Quitte à diviser profondément l’opinion et à menacer la nature même de la démocratie.

C’est l’opération que Netanyahou a entamée, dans le but à peine caché de se protéger contre affaires judiciaires qui le menacent et de mener une politique bien plus dure vis-à-vis de la population palestinienne. Les Israéliens ont coutume de dire, avec un brin de fierté, qu’ils sont « la seule démocratie du Proche-Orient ».

Cette qualité, essentielle à la légitimité du pays, est en passe de s’effacer.    

Laurent Joffrin