Israël, un an après

par Bernard Attali |  publié le 07/10/2024

Les ennemis d’Israël sont les mêmes qui ont mitraillé le Bataclan, assassiné Samuel Paty et les journalistes de Charlie Hebdo. Mais il faut avoir le courage de dire que certains nationalistes israéliens sont irresponsables.

Cérémonie commémorative rendant hommage aux victimes des attentats du Hamas du 7 octobre 2023 contre Israël, à l'occasion du premier anniversaire. (Photo de Nikolay DOYCHINOV / AFP)

Un an après la tragédie du 7 octobre Israël est seul. Mais ce n’est pas nouveau. Le pays est né dans la solitude. Au lendemain du vote de l’ONU en 1948 les pays musulmans ont lancé leurs armées sur Israël et refusé le plan de partage qui était sur la table : ceux qui aujourd’hui revendiquent un État arabe en Cisjordanie feraient bien de s’en souvenir. Il serait juste de remarquer aussi la solitude des Palestiniens. Après leur exode les « frères » arabes les ont abandonnés. Au lieu d’aider les réfugiés à créer un État, ce qui était alors possible, ils les ont laissés seuls, enfermés dans des camps et même massacrés comme en Syrie.

Dans ce chaudron les passions tristes ont prospéré. Les Frères Musulmans, entre autres, ont distillé leur venin où la haine de l’Occident se mariait à la haine du juif. Ils ont fait en sorte que l’aide internationale vienne alimenter les caisses d’organisations corrompues au détriment des populations démunies. Tout cela en se cachant derrière une interprétation fanatique de la Charia pour imposer leur discipline moyenâgeuse. Il ne faut pas oublier le rôle du grand mufti de Jérusalem allié d’Hitler pendant la guerre. Le Hamas en est le digne héritier. Les étudiants qui défilent ici et là sous drapeau palestinien feraient bien de réviser leurs cours d’histoire. Par quelle amère ironie des jeunes Américains brandissent ils le drapeau palestinien sur les campus… en oubliant qu’ils ont le privilège de vivre en démocratie et qu’ils sont eux même les descendants de colons ?

Il faut le répéter, inlassablement : les ennemis d’Israël sont les mêmes qui ont mitraillé le Bataclan, assassiné Samuel Paty et les journalistes de Charlie Hebdo. Qu’un ancien Premier Ministre français appelle « axe de résistance » le Hamas, le Hezbollah, et les Houthis du Yémen… est un pur scandale qui insulte la mémoire des victimes françaises tombées sous les balles de ces organisations criminelles. Et quand le même dénonce « la domination financière du sionisme international », il ne mérite que le mépris.

Est-ce que cela excuse la vision messianique de certains Israéliens s’installant par la force en Cisjordanie ? Sûrement pas : en laissant 750 000 colons s’établir en Cisjordanie le gouvernement israélien a travaillé contre la paix en rendant bien plus complexe la solution « à deux États ». Théocratie contre théocratie. Les deux peuples sont pris en otages par leurs extrémistes, chacun brandissant sa légitimité. Il est baroque de les voir se disputer pour savoir qui était sur cette terre le premier, il y a plusieurs millénaires. Vous n’y étiez pas. Moi non plus ! Pour juger de la situation actuelle il faut garder en mémoire la menace permanente qui pèse sur un État qui, a plusieurs fois failli disparaître. Il s’en est fallu de peu en 1973… Le 7 octobre fut la suite tragique de cet enchaînement.

Comment imaginer qu’un pays puisse subir de telles atrocités sans réagir ? Il n’y a pas de riposte proportionnée quand il y a risque existentiel. Donc Israël a réagi. Quel signal de faiblesse son gouvernement aurait-il donné s’il avait laissé l’ennemi clamer à sa porte que le pays allait être détruit du fleuve à la mer ? Le temps n’est plus où les Juifs étaient traités de lâches pour s’être laissés enfermés dans leurs ghettos.

Bien sûr les souffrances du peuple de Gaza et de Beyrouth sont intolérables. Mais il faut être aveugle pour ne pas voir qu’en combattant le Hezbollah, l’armée israélienne fait face à une organisation terroriste qui a mis le Liban en coupe réglée, qui a fait massacrer des milliers de députés, de juges, de journalistes, ou de simples opposants, qui a exécuté un Premier ministre, qui est soutenu par les mollah iraniens, par le régime syrien, et qui se finance avec la drogue généreusement fournie par le Venezuela. Les bonnes âmes qui contextualisent le crime se font complices du crime.

Et comme rien n’est simple en Orient, Israël a sa part de responsabilité. Il faut avoir le courage de dire, tout en condamnant les fanatismes arabes, que certains nationalistes israéliens ont eu de leur côté un comportement irresponsable. C’est une faute impardonnable que de commettre les mêmes crimes que son ennemi. De là le grand malaise d’une partie de l’opinion israélienne , partagée entre la fierté des exploits de Tsahal et la tristesse de voir chez l’ennemi tant de victimes civiles. Un sage a dit un jour : la pire solitude c’est de ne pas être à l’aise avec soi-même.

Oui la situation à Gaza est humainement dramatique. Rien ne justifiera jamais la mort d’un enfant. Le dilemme décrit par Camus dans les Justes trouve ici toute son actualité : son héros avait beau se battre pour une grande cause il refusa de jeter une bombe sur des enfants. Et la religion juive elle même enseigne que par-dessus tout il faut préférer la vie. Israël se serait grandi en restant fidèle à ce principe. Son gouvernement ne l’a pas fait. Et le pays se retrouve au banc des accusés. Seul.

La communauté internationale, elle aussi, s’est une nouvelle fois couverte de honte. Dans l’incapacité de porter un projet de paix dans la région, dans l’incapacité de s’interposer entre les belligérants, dans l’incapacité à distinguer agresseurs et agressés, dans l’incapacité de distinguer entre un pays démocratique et des régimes dictatoriaux, elle s’agite en tous sens pour faire reconnaître un État palestinien… qu’elle a échoué à faire naître. Elle exige aujourd’hui d’Israël l’ouverture de la frontière entre Gaza et l’Égypte tout en sachant que par cette même frontière ont transité les armes, les missiles et les bombes dirigés contre Israël !

Pour tout compliquer le fond du tableau est glauque, marqué par le réveil de l’antisémitisme qui affecte Israël et toute sa diaspora. Là aussi grande est la solitude de beaucoup de juifs hors d’Israël. Ils savent que ceux qui couvrent Israël d’insultes sont souvent mus par une haine qui n’a que peu à voir avec la Palestine. Comment expliquer autrement que des mains anonymes déchirent en plein Paris, des affiches qui ne font que rappeler les visages d’innocents pris en otage et martyrisés dans d’obscures tunnels ? La solitude d’Israël c’est aussi cela : l’éternelle solitude du juif errant.

Certes Israël n’est pas seule sur le plan militaire : les Etats-Unis restent toujours solidaires : le groupe aéronaval américain, le Theodore Roosevelt, est en alerte dans des eaux proches d’Israël. Mais la solitude d’Israël, c’est autre chose, de beaucoup plus grave. Après la Shoah, le pays bénéficiait d’une sorte de légitimité morale. Il était considéré comme le point d’ancrage des démocraties face à des théocraties. Et on attendait de cette jeune nation une exemplarité morale. Cette époque est révolue. Le piège du Hamas a fonctionné. Par une étrange inversion des valeurs le pays est passé du camp des victimes à celui des bourreaux. La guerre salit tout.

Ainsi s’explique l’agressivité de pays comme l’Afrique du Sud ou l’Espagne devant la CIJ de la Haye. Israël est devenu pour tout le « sud global » et pour l’ONU l’incarnation du mal, l’occupant, le colonisateur, le génocidaire. Une pensée décoloniale sournoise ayant fait son œuvre, la solitude d’Israël est aujourd’hui, hélas, une solitude morale.

À moyen terme les succès militaires sur le Hamas et le Hezbollah menacent de n’être que des victoires à la Pyrrhus. Ce qui se passe aujourd’hui au Levant résonne pourrait être un grave signal d’alarme. Gaza annoncerait le pire, à une échelle encore plus vaste, comme hier Guernica annonçait le désastre de la guerre mondiale. Et si l’on n’y prend pas garde Israël, éternellement bouc émissaire en sera déclaré responsable.

Il est donc vital qu’Israël retrouve vite le chemin de négociations lui permettant de construire son avenir sur la paix et non sur les armes. Cela ne sera pas facile car là encore Israël se retrouve seul, avec au nord et au sud très peu de partenaires fiables. Mais l’histoire montre que c’est toujours quand on est fort sur le terrain militaire qu’il est possible de faire des concessions sur le plan politique. La force seule n’est jamais suffisante pour retrouver durablement la paix.

Bernard Attali

Editorialiste