Italie. Berlusconi, le délinquant sanctifié

publié le 16/06/2023

L’Italie conservatrice offre des funérailles nationales à Silvio Berlusconi en oubliant  que le  « Cavaliere » aurait dû terminer sa vie en prison…par Paolo Flores d’Arcais

Funérailles nationales pour Silvio Berlusconi à Milan- Photo Tiziano Ballabio/ NurPhoto

Mercredi 14 Juin 2023, funérailles solennelles dans la cathédrale de Milan et trois jours de deuil national avec drapeaux en berne sur tous les bâtiments publics. C’est ainsi que le gouvernement officiel italien de l’ancienne fasciste, madame Meloni sanctifie Silvio Berlusconi.
A noter que même quand les juges antimafia, Falcone et Borsellino, ont été massacrés par la mafia, le deuil national n’a pas été décrété.

Berlusconi, lui, a eu des contacts étroits avec la mafia. Vittorio Mangano, un mafioso multimeurtrier, a été pendant deux ans son « employé » dans la villa d’Arcore, avec le titre improbable de « garçon d’écurie ». Berlusconi a dit de lui, à plusieurs reprises, qu’il était « un héros » parce qu’il se tenait toujours tranquille avec les magistrats.
En réalité, selon le juge Borsellino, Mangano était « l’une des têtes de pont de la mafia dans le nord ».

Marcello Dell’Utri, ami le plus proche de Berlusconi, cofondateur de Forza Italia et bras droit politique de Berlusconi , est également un mafioso condamné à une peine définitive de sept ans d’emprisonnement. Il purgera cinq ans, dont un à domicile.

De tout cela, rien n’est dit aujourd’hui par les médias et les réseaux magnifient la grandeur politique, entrepreneuriale et humaine de Silvio Berlusconi.
Quant à l’église, l’archevêque de Milan, Mario Delpini, n’en a pas fait mention lors de son homélie lors de la messe de funérailles dans la cathédrale.


Le cardinal Ruini, chef des évêques italiens pendant quinze ans a, lui, commenté le décès de Silvio Berlu-sconi, quelques instants après son annonce, en le décrivant comme « une personne d’une grande intelli-gence et d’une grande générosité […] qui a eu des mérites historiques pour l’Italie ».

À l’opposé, un journaliste certes très conservateur, mais pas tendre envers les puissants, Massimo Fini, a été parmi les très rares à rappeler hier l’affaire de la fameuse Villa in Arcore « extorquée » par Berlusconi avec l’aide de son avocat Cesare Previti. L’homme a été ensuite remercié en étant nommé ministre de la Défense . Ensemble, ils ont escroqué la marquise Anna-maria Casati Stampa, alors mineure, orpheline de ses parents, et en état de choc, Comment disait le Cardibal Ruini ? Ah, oui : « Berlusconi, une personne d’une grande générosité ».

Plutôt un repris de justice! Reconnu comme tel par les institutions de la République italienne, puisqu’il a été condamné en 2013 à quatre ans de prison pour fraude fiscale, c’est-à-dire pour avoir volé l’État, avec une condamnation confirmée en cassation. Grâce à une amnistie et à d’autres artifices, il ne fera qu’un an de travaux d’intérêt général dans… une institution pour personnes âgées).

Cette condamnation n’est que la partie émergée de l’iceberg. Dans dix autres procès, Berlusconi n’a ja-mais été condamné en raison de la prescription. Ses avocats ont réussi à faire durer les procès, le temps pour sa majorité gouvernementale de modifier les lois en réduisant la prescription.

Mieux: dans d’autres procès, il a été acquitté, ou les procès n’ont même pas commencé, parce que sa majorité gouvernementale a adopté des lois « ad personam » sur les délits commis par Berlusconi, qui ont été dépénalisés, « évaporés ». Une fois le délit disparu, il ne pouvait plus, évidemment, y avoir de condamnation.

Ainsi, sans le pouvoir politique qui lui a permis de modifier les codes à son avantage, Berlusconi aurait été condamné dans une vingtaine ou une trentaine de procès. Il ne serait pas mort à la luxueuse clinique San Raffaele, mais à l’infirmerie d’un certain San Vittore, du nom de la prison historique de Milan, après avoir passé un quart de siècle en prison.

Aujourd’hui, nous parlons de la Hongrie d’Orbán, mais l’inventeur de cet effondrement de la démocratie n’est pas Orbán, c’est Berlusconi, qui a tenté de réali-ser le projet par tous les moyens et n’a échoué que grâce à la résistance obstinée et tenace de la société civile italienne, qui, pendant vingt ans, a réussi à bloquer le projet au moins partiellement.

C’est donc grâce aux « fax people » de la fin des an-nées 1990 et aux mobilisations continues de l’opinion publique, en cette année de manifestations gigantesques (les deux plus grandes de toute l’histoire républicaine) à l’été 2002, que le projet de régime de Berlusconi n’a pas pu se réaliser. Il est pourtant en train de se réaliser, point par point, avec le gouvernement de l’ex-néo-para-fasciste Giorgia Meloni.

Après tout, Berlusconi a commencé sa course politique non pas en 1994, lorsqu’il a fondé Forza Italia, mais en 1993 lorsque, pour l’élection du maire de Rome, il a déclaré qu’il soutiendrait le secrétaire du Mouvement social italien, Gianfranco Fini. Quelques mois auparavant, celui-ci avait célébré le 70e anniversaire de la marche de Mussolini sur Rome avec une grande vague de fanions fascistes et les cris des fascistes « Eia Eia Alalà ».

Reste le « brillant » entrepreneur… Ses idolâtres passent sous silence le financement initial de Milano 2, la mégaspéculation immobilière avec laquelle il est devenu un homme riche, grâce à la présence de capitaux mafieux. Et la loi Mammì, voulue par Bettino Craxi, ancien chef du gouvernement italien, selon laquelle un réseau de stations de télévision locales hors-la-loi a pu devenir un empire monopolistique «Mediaset».

Oublions ses éloges somptueux d’Orbán, d’Erdogan, de Trump. Et passons enfin sur l’amitié très étroite avec Poutine, qui a culminé lors d’une conférence de presse où Berlusconi, à côté d’un Poutine embarrassé par la question d’un journaliste sur sa relation avec une jeune gymnaste, est venu au secours de Poutine en mimant vers le journaliste le geste d’un tir de mitrailleuse. Une suggestion dont l’assassin d’Anna Politkovskaïa n’avait certainement pas besoin.

Existe-t-il une seule chose à retenir des trente années d’hégémonie politique de Berlusconi qui ait rendu l’Italie meilleure ?

Rien, absolument rien.
Cela vaut bien un hommage national, non?

Paolo Flores d’Arcais
( Philosophe, direcvteur du magazine MicroMega)