Jack l’Éventreur. Et si c’était lui ?
Le mystérieux tableau représente un homme en imperméable, col relevé, regard en biais inquiétant, chapeau haut de forme, il tient un parapluie…
Qui est Jack l’Éventreur, le tueur en série qui, entre le 5 août et le 9 novembre 1888, s’est acharné avec un sadisme effroyable sur six femmes dans l’East End de Londres ? Parmi les hypothèses, plus ou moins conspirationnistes – complot de la franc-maçonnerie ou de la famille royale -, on compte environ une centaine de suspects, souvent fantaisistes pour deux ou trois « sérieux ».
Dans son retentissant « Portrait of a Killer », paru en 2003, Patricia Cornwell, reine du polar, avance le nom de William Sickert, peintre impressionniste renommé. Elle aurait dépensé un million d’euros pour le démontrer. Problème : Sickert était à Dieppe à l’époque des premiers meurtres. Mais il peut très bien avoir traversé la Manche – trois heures et demie par beau temps, pas besoin de passeport… Et on est sûr qu’il était à Londres au moins le 28 septembre.
Chasseur de trésors – Géricault, Courbet, Delacroix sont à son tableau de chasse – Johann Naldi est sur la ligne Cornwell, à laquelle il dédie son livre. L’affaire débute le 28 novembre 2020 à l’hôtel des ventes d’Avignon. Sur catalogue, Naldi flashe sur le lot n° 22, une toile de 78×50 cm, étiquetée « école française de la fin du 19e siècle ». Le tableau représente un homme en imperméable qui maintient son col relevé comme pour masquer son visage ; il a un regard en biais inquiétant, porte un chapeau haut de forme et tient un parapluie. Les enchères se font sur internet. Le marteau tombe : adjugé pour 6100 euros.
À la réception du tableau, Naldi est ébloui par la qualité de l’œuvre. Sûrement pas celle d’un petit maître. Très vite un élément l’intrigue, l’énorme roue d’une charrette à bras renversée. Or c’est justement un charretier, Charles Cross, qui a découvert la première victime de l’Éventreur ! Naldi, poursuivant ses recherches, découvre qu’un peintre, Walter Sickert, artiste torturé, limite psychopathe, était fasciné par Jack au point d’avoir logé dans une chambre qui pourrait avoir été celle du tueur et dont il a fait des toiles – lugubres, on l’imagine.
Naldi continue à gamberger. Et si Walter Sickert était l’homme représenté sur la toile à la charrette qu’il vient d’acheter ? Mais alors qui l’a peinte ? Parmi les artistes proches de Sickert, il pointe son ami Jacques-Émile Blanche : il a d’ailleurs réalisé un portrait de Sickert, que l’on peut voir à la National Portrait Gallery.
Ayant soumis la toile à une analyse scientifique poussée, Naldi remarque des traces d’empreintes digitales. Seraient-ce celles de Blanche ou pourquoi pas de Sickert ? On ne le saura pas. Au dos, sur le châssis, indétectable à l’œil nu, l’analyse scientifique révèle deux lettres : « Bl » – comme Blanche. En outre, la toile a été préparée par Foinet Fils & Lefebvre, fournisseurs de Blanche et… de Sickert. D’autres éléments, en particulier des déclarations ambiguës de Blanche sur Sickert, à la fin de sa vie, laissent à penser qu’il était détenteur d’un lourd secret.
Alors, « cold case » résolu ? S’il y a peu de doutes que le « lot 22 » d’Avignon soit bien de la main de Jacques-Émile Blanche, le fait que Sickert soit le tueur de White Chapel est moins sûr. Naldi a intitulé son tableau « Portrait de William Sickert en Jack l’Éventreur ». Ce qui ne veut pas dire qu’il est Jack l’Éventreur. Même si Jacques-Émile Blanche l’a imaginé…
L’unique portrait de Jack l’Éventreur de Johann Naldi, 223 pages, 26 euros. Éditions de l’Observatoire