JDD : gagner la deuxième manche

par Laurent Joffrin |  publié le 01/08/2023

La grève du Journal du Dimanche s’arrête après un mouvement historique. La première manche n’a pas connu le succès. Il reste à jouer la deuxième…

Laurent Joffrin

Après une grève historique de six semaines, la rédaction du Journal du Dimanche a mis fin à son mouvement. La Société des Journalistes a lucidement qualifié la situation : « Il nous coûte de le reconnaître (…) : si nous avons remis sur la place publique l’enjeu de l’indépendance des rédactions, face à notre actionnaire, nous n’avons pas gagné ».

C’est un fait que la loi n’était pas du côté des journalistes : les journaux sont des entreprises, dont les actionnaires ont aujourd’hui le droit de nommer souverainement les principaux cadres, ce qui vaut pour le directeur de la rédaction. Dès lors que l’actionnaire dispose des moyens financiers de surmonter la grève, le combat était difficile, même si la défaite n’est pas totale : sous la pression, le groupe Lagardère a dû concéder des indemnités importantes pour ceux qui décideraient de quitter le journal pour cause de désaccord éditorial.

Le combat, à vrai dire, ne fait que commencer. Le courageux arrêt de travail du JDD a mis en lumière une question démocratique importante : le statut des rédactions au sein des entreprises de presse. Cette question doit être clairement posée. Nul ne conteste, en effet, le droit de quiconque de créer un journal selon ses vues. La presse d’opinion est un pilier du débat, l’État ne saurait intervenir en quelque manière que ce soit pour influer sur son contenu. Seule la justice peut le faire si l’organe d’information enfreint les dispositions de la loi sur la presse (interdiction de la diffamation, de l’expression raciste, de l’appel à la haine…).

Mais dans le cas du JDD, il s’est agi de prendre d’assaut un titre existant et d’en modifier radicalement la ligne politique et journalistique en nommant un directeur connu pour ses engagements à l’extrême-droite.  La direction de l’entreprise a même refusé de s’engager à ne pas publier des contenus racistes ou xénophobes ! Le problème se poserait d’ailleurs de la même manière s’il s’agissait d’imposer une ligne d’extrême-gauche au même journal (mais on admettra que l’hypothèse est très théorique…).

Comme on l’a déjà expliqué ici, il n’est qu’une solution : conférer aux rédactions un droit de veto sur la nomination du directeur de la rédaction. Non pour lui donner le pouvoir, mais pour garantir mieux son indépendance journalistique et prévenir un changement brutal de ligne imposé par un nouveau propriétaire. Dans ce nouveau système, déjà appliqué par plusieurs grands journaux (Le Monde, Libération, La Croix, l’Obs…), l’actionnaire garde le pouvoir de nomination (nulle élection, donc, procédure qui a montré ses défauts), mais la rédaction est consultée sur cette candidature par un vote à bulletin secret à la majorité des inscrits. Si elle rejette l’impétrant, l’actionnaire en propose un autre, ce qui oblige en fait les deux parties à s’accorder sur un nom crédible, dont la personnalité est conforme à l’identité du journal.

Cette disposition doit être inscrite dans une charte préalablement négociée, qui définit les grandes valeurs du journal et précise les modalités de traitement de l’information. Ce qui n’enlève rien à la primauté de l’actionnaire sur l’évolution économique du titre, sans laquelle il deviendra très difficile de trouver des investisseurs disposés à soutenir les journaux.     

Tel est donc le prochain objectif de la lutte : convaincre l’opinion, les parlementaires, le gouvernement, de la pertinence de cette réforme, destinée à protéger l’autonomie professionnelle des rédactions, condition d’une information pluraliste et crédible, indépendante des pressions financières ou publicitaires. Emmanuel Macron a annoncé que des « États généraux » de la presse se tiendraient à l’automne. Ce sera la prochaine arène du débat. Et si rien ne se passe à l’issue de cette discussion (la majorité des patrons de presse y sont hostiles), la réforme doit être reprise dans le programme des partis politiques sensibles à cette question, ceux de la gauche notamment…   

Laurent Joffrin