« Je gère »
Novlangue. De Newspeak, George Orwell, « 1984 ». Langage convenu et rigide destiné à dénaturer la réalité.
Le « je gère » volontiers asséné par nos contemporains est fait pour nous rassurer.
Alors pourquoi nous inquiète-t-il ?
Issu du latin « gestare » qui renvoie à l’idée toute physique de « prise sur soi d’un poids sien », y compris pour l’enfantement, « gérer » s’est lentement déplacé, par métaphore, vers le traitement par le sujet d’affaires, de difficultés, d’objets d’expérience « pesants » qui lui sont extérieurs.
Ce que l’on portait en soi comme sien, voilà qu’on le porte en soi comme exogène, voilà qu’on le « retraite » comme le ferait une entreprise, un corps administrateur, mieux : comme une machine ruminant des données !
Je ne pense pas, je n’agis pas pour résoudre un problème, telle une conscience au travail : je traite les objections du monde en objet du monde parmi les autres, en difficulté extérieure dont j’atténue les effets ou les inconvénients, dans une action distanciée où ma personne physique a laissé en moi sa place à une personne morale qui ne l’engage qu’à demi.
Le Cogito s’incline devant la Gestatio : « – Vous me cherchez ? Voyez mon gestionnaire ! »