Jean Peyrelevade: le social-démocrate qui dérange

publié le 30/04/2023

Avocat de la rigueur et de la réforme, il publie un manifeste qui bouscule les certitudes de la gauche française

Livre

Économiste, banquier, militant, longtemps le plus proche conseiller de feu Pierre Mauroy, il est à coup sûr, en dépit de ses origines méridionales, le plus scandinave des sociaux-démocrates français. À l’instar d’un Suédois de gauche ou d’un Finlandais, Jean Peyrelevade veut asseoir l’État-providence et sa politique de redistribution sur une industrie forte et des finances rigoureuses.

Fort de sa longue expérience de socialiste et de patron, il livre un ouvrage important qui fera référence pour tous ceux qui veulent faire renaître en France une gauche réformiste, quelles que soient les réticences qu’il peuvent ressentir à la lecture de ces thèses souvent décapantes pour le socialisme à la française.

Entre révolution et réaction, les réformateurs peinent le plus souvent à s’imposer

Le réformisme, explique-t-il, est un courant malmené dans l’histoire politique du pays, pris en tenailles entre le mythe de la rupture né des soubresauts de la Révolution et la rigidité conservatrice dont ont fait si souvent preuve les élites françaises.

Les périodes de changements profonds et pacifiques sont rares depuis 1789, même si l’œuvre de la Constituante, les réformes du Consulat, les avancées décisives de la République à la fin du 19e siècle, les innovations du Front populaire ou les progrès de la Libération et du gaullisme font exception à la règle. Entre révolution et réaction, les réformateurs peinent le plus souvent à s’imposer dans l’histoire de cette nation hautement inflammable.

Le dernier gouvernement franchement réformiste ? Celui de Pierre Mauroy, qui fut Premier ministre de la gauche 1981 à 1984. Il est vrai que Peyrelevade fut l’un de ses plus proches conseillers pendant cette période tendue, qui vit s’appliquer les principales mesures du projet socialiste de François Mitterrand et fut en même temps celle du « tournant de la rigueur », source de tant de réquisitoires ultérieurs venus de la gauche radicale.

Plutôt que de battre sa coulpe, la gauche devrait revendiquer la politique menée par ce gouvernement Mauroy

Peyrelevade donne sur ce point un témoignage de première main qui forme la partie la plus vivante de son livre. Fondée sur un récit minutieux des décisions prises à l’époque, sa thèse dérangera. Les mesures de remise en ordre imposées à la gauche par Mauroy en 1982 et 1983, explique-t-il, ne constituent en rien une « trahison ». Elles étaient de toute nécessité, faute de quoi la France aurait rompu avec l’Europe pour s’enfoncer dans une crise qui l’aurait mise à la merci du FMI et des marchés financiers.

Plutôt que de battre sa coulpe, poursuit-il, la gauche devrait revendiquer la politique menée par ce gouvernement Mauroy à la fois réformateur et réaliste, qui a remis le pays en équilibre tout en le modernisant. Toute une partie de la gauche, qui communie toujours au culte de la « rupture avec le capitalisme », se récriera bruyamment.

Pour Peyrelevade, il n’y a pas de réforme sociale possible sans une industrie forte et des finances en équilibre

Or c’est plus tard, passant en quelque sorte de l’autre côté du cheval, que les socialistes, en libéralisant la finance avec Pierre Bérégovoy, ont ouvert le pays aux excès d’une mondialisation dominée par le libéralisme anglo-saxon.

Pour Peyrelevade, il n’y a pas de réforme sociale possible sans une industrie forte et des finances en équilibre. Faute de quoi le pays s’est ensuite affaibli sous le poids de la dette, du déficit extérieur et de la désindustrialisation.

Ce paladin de la rigueur en déduit, dans une troisième partie, un manifeste réformiste exigeant, qui conjugue pouvoir des travailleurs dans l’entreprise, redistribution audacieuse et réalisme économique rigoureux, seuls moyens de relever les défis lancés par l’impératif climatique et par l’indispensable réduction des inégalités sociales qui déchirent le pays.

Exigence excessive ? Lucidité dérangeante ? Peut-être. À tout le moins, plutôt que de s’enfermer dans les illusions de la radicalité, la gauche française doit en débattre d’urgence.

Jean Peyrelevade – Réformer la France, Odile Jacob, 280 pages, 22,90 euros.