Jeunesse en danger

par Boris Enet |  publié le 30/11/2024

Tandis que les professionnels de l’éducation demandaient le retrait des groupes de besoin au collège, le Conseil d’État a annulé l’arrêté pour la forme. Il octroie dix mois à l’institution pour présenter un décret. Pendant ce temps, l’école s’enfonce.

Des jeunes sur leur smartphone à Melbourne le 28 novembre 2024 alors que l'Australie cherche à interdire l'accès des enfants de moins de 16 ans aux médias sociaux. L'Australie fait partie des pays à l'avant-garde qui tentent de contrôler les réseaux sociaux, et la législation sur la limite d'âge en fera l'une des mesures les plus strictes au monde à l'égard des enfants. (Photo William WEST / AFP)

Saisissant décalage entre l’actualité d’un Ministère inerte dont on ignore le temps restant et les périls autrement plus sérieux qui empoisonnent l’univers de la jeunesse scolarisée. En réalité, les groupes de besoin de Gabriel Attal n’étaient ni l’incarnation du mal absolu, ni la solution adéquate pour remédier à un niveau devenu indigent dans une fraction endémique de la population des collèges. 

L’Éducation Nationale, comme l’ensemble de la fonction publique, souffre d’une absence de remise à plat systémique, du statut aux rémunérations, en passant par l’attractivité des métiers. Tout le monde le sait en secret, mais personne n’ose soulever le couvercle. Pourtant, en attendant un vrai Grenelle de l’éducation, d’autres pays agissent concrètement et sans attendre. 

Le Premier Ministre travailliste australien a permis l’adoption d’une interdiction des plateformes de réseaux sociaux pour les moins de seize ans, avec l’aide d’une majorité du parlement de Cambera. Meta, Tiktok et Snapchat ont eu beau s’insurger en défenseurs zélés d’une jeunesse qu’ils décervèlent à des fins mercantiles, Anthony Albanese évoque une législation de protection de la santé mentale des enfants. 

Pour la première fois au monde, une grande démocratie libérale renvoie les prédateurs à leur responsabilité. C’est à eux qu’il reviendra de vérifier l’exclusion des moins de 16 ans de leurs plateformes, faute de quoi ils devront s’acquitter d’amendes grimpant jusqu’à 50 millions de dollars australiens. La population approuve à 77%. Les géants de l’abêtissement démocratique, à l’exception de Snapchat, prédisent quant à eux une ruée plus massive vers le Darknet, osant endosser le costume du bouclier éducatif et culturel. 

Exotique législation venue de l’autre bout du monde ? Certainement pas. La dernière enquête de l’INSEE sur le cadre de vie au travail, révèle que 12% des personnels de l’Éducation nationale sont menacés, insultés dans le cadre de leur activité, soit deux fois plus qu’ailleurs.

Parallèlement, les demandes de protection fonctionnelle ont progressé de 29% entre 2022 et 2023, tandis que les atteintes à la laïcité amorcent enfin une décrue, passant de 1 034 signalements en septembre 2023 à 328 à la dernière rentrée. 

Or, dans l’immense majorité des cas, les réseaux asociaux sont le vecteur et la caisse de résonance des violences verbales ou physiques, permettant la médiatisation des attaques contre l’école et ses serviteurs. Dans le jugement inique rendu pour menaces de mort contre l’ancien proviseur du lycée Maurice Ravel, pour avoir demandé à une lycéenne de se dévoiler dans l’enceinte de son établissement, l’un des prévenus avançait qu’il en avait « rajouté » concernant les menaces de mort pour « avoir des likes ».  

Plutôt que d’attendre un énième drame sordide aux abords d’un établissement, sur fond d’effondrement sociétal et d’avilissement numérique juvénile, il est possible de faire œuvre de salut public, contribuant à la restauration d’un cadre éducatif protecteur pour les enfants et ceux qui les veillent. Une telle adoption à l’échelle de l’UE serait un point d’appui. D’ici là, rien n’empêche au législateur français de prendre ses responsabilités. Notamment s’il se réclame de la gauche.

Boris Enet