Derrière le sport, la marche vers la guerre

par Pierre Feydel |  publié le 12/07/2024

L’olympisme et la fête des jeux ont servi de masque pacifique à l’Allemagne nazie, qui se préparait à la guerre. Les démocraties ont été dupes… ou ont fait semblant de l’être.

Adolf Hitler en 1936 Photo by Austrian Archives / IMAGNO / APA-PictureDesk via AFP

Le sport, surtout dans sa manifestation suprême, les jeux olympiques, fut pour le national-socialisme un formidable vecteur idéologique. Fusionnant la figure du champion avec le mythe du surhomme, faisant de la compétition une exaltation de la sélection naturelle où les perdants deviennent des vaincus, les Nazis ont en réalité dénaturé l’éthique sportive, faite de dépassement de soi-même autant que e confrontation avec l’autre. Pourtant, bon nombre de journalistes ou de notables des institutions sportives ont fait preuve d’une extrême complaisance, pour ne pas dire de complicité, à l’égard du régime d’Adolf Hitler.

Oubliés la persécution des juifs, les atteintes aux libertés, les opposants menacés ou emprisonnés. Ignorés, les soldats allemands de la Légion Condor combattant en Espagne aux côtés de Franco. Le sport était devenu un opium des peuples anesthésiant les opinions, leur faisant oublier la marche inexorable vers la guerre. Les uns et les autres répétaient, comme pour se convaincre eux-mêmes, qu’il ne fallait pas mêler le sport et la politique. Le régime d’Adolf Hitler sut pourtant très bien sous-tendre ce formidable spectacle sportif de sa vision inhumaine de l’Humanité, donc de son idéologie. Le tout enveloppé de protestations de foi pacifiste d’une totale hypocrisie.

« Les discours pacifiques des jeux de Berlin, les odes à la fraternité des peuples, trois ans avant l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht, stupéfient par ce qu’ils révèlent de duplicité »

Que reste-t-il de cette mystification ? Sûrement un film, les « Dieux du stade », de Leni Riefenstahl, l’expression d’une esthétique typique de l’« Ordre nouveau ». La cinéaste préférée du Führer avait déjà produit des films de propagande pour le régime, dont « Le triomphe de la volonté », consacré au 6e congrès du Parti nazi à Nuremberg en septembre 1934. Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande, lui avait proposé de tourner un long métrage à la gloire de l’olympisme hitlérien. Le projet bénéficiait de moyens techniques et humains considérables, dont une vingtaine de cameramen.

Le film traduit une esthétique typique de l’« Ordre nouveau » : célébration du corps humain, de la nudité, personnage musculeux aux mines exaltés, aux attitudes impérieuses. Une galerie de personnages qui tiennent plus de la statuaire antique que de l’athlétisme moderne. Mais les discoboles se métamorphosent au cours du film en redoutables compétiteurs allemands. Le film reçut la « Coupe Mussolini » à la biennale de Venise de 1938. Leni Riefenstahl s’est toujours défendue d’avoir été aux ordres du régime. Elle s’est proclamée artiste indépendante, même si elle confessa que les services du Dr Goebbels lui avait ordonné de ne pas mettre en valeur trop d’« untermenschen », de sous-hommes. Autrement dit de « nègres » ou de gens de couleur.

Les discours pacifiques des jeux de Berlin, les odes à la fraternité des peuples, trois ans avant l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht, stupéfient par ce qu’ils révèlent de duplicité. En réalité, le IIIe Reich réarme à tour de bras : 20 % du PIB est consacré au budget militaire et le 24 août 1936, le service militaire est porté à deux ans. Les Olympiades de 1940 devaient se tenir au Japon, futur allié de l’Allemagne. Comme si l’olympisme avait, dans les années 1930, choisi son camp.


Toute la série :
1. Olympisme et nazisme, des affinités
2. Le boycott des jeux n’aura pas lieu
3. Décor monumental et organisation colossale
4. Un noir américain défie la race des seigneurs
5. Derrière le sport, la marche vers la guerre

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire