JO : l’aberrante bévue de la presse
Tout devait mal se passer dans ces JO, tout se passe bien : cherchez l’erreur journalistique.
C’est une faute de la presse française, désormais occultée par l’euphorie du moment, mais néanmoins patente : pendant plusieurs mois, la plupart des articles consacrés aux Jeux Olympiques annonçaient le pire. La Seine ne serait pas baignable, la sécurité était impossible à assurer, le coût de l’opération serait pharamineux, les transports seraient saturés, les grèves allaient gâcher la fête, la vie parisienne deviendrait un enfer à fuir d’urgence, le prix des billets était exorbitant, il serait impossible de circuler dans la capitale, le dispositif policier était totalitaire, les barrières disposées aux abords de la Seine transformeraient la capitale en camp de prisonniers, etc.
Quelques journalistes plus lucides – sportifs en général – rappelaient que les Jeux sont le plus souvent l’occasion d’une grande ferveur, que le sport rassemble les peuples et que les grands événements de ce genre, à l’instar de la Coupe du Monde de foot, sont l’occasion d’une célébration à la fois patriotique et ouverte sur le monde. Mais au total, le lecteur tirait de cette couverture déprimante la lugubre impression que les JO de Paris couraient à l’échec, dans une ville désorganisée par l’impréparation, l’amateurisme et la folie des grandeurs des organisateurs.
Arrive la cérémonie d’ouverture, plébiscitée dans le monde entier : tout est oublié, tout est effacé, les journaux applaudissent à grands cris la performance à la fois « hype » et patrimoniale réalisée par Thomas Jolly et son équipe. L’ambiance dans Paris change du tout au tout : à la place des récriminations attendues, des scandales annoncés, des désastres prévus, les compétitions se déroulent sans anicroche, une foule cosmopolite et bon enfant afflue au centre de Paris comme dans les stades et les Français soudain réconciliés saluent le spectacle d’ouverture, se pressent devant leurs écrans, suivent aves passions les compétitions et tirent une fierté légitime de la pluie de médailles recueillie par leurs athlètes.
On dira que c’est le rôle de la presse que de chercher les failles, les erreurs, les manques, qu’elle joue légitimement sa partie en aiguillonnant les pouvoirs publics pour s’assurer qu’ils fassent diligence. Certes. Mais qui ne voit le décalage ridicule entre l’avant et l’après, entre la prévision et le fait, entre l’impéritie supposée de la préparation et la réussite de la réalisation ? Il y a là plus qu’un contraste fortuit : un phénomène directement politique.
Le remplacement de l’esprit critique par la manie du dénigrement, dont le « JO bashing » ne fut qu’un nouvel avatar, produit des effet délétères sur la démocratie. Il suffit d’y penser un instant : qui est ainsi placé sur la sellette, cloué au pilori, dévalorisé et discrédité a priori ? Ceux qui nous dirigent et que nous avons désignés, quoi qu’on dise. Pas seulement Emmanuel Macron et son ex-majorité, mais tous les dirigeants, de droite, de gauche ou du centre : le gouvernement, bien sûr, mais aussi la mairie de Paris, les élus régionaux, les représentants du monde du sport, l’administration, la police, les dirigeants des transports publics, bref, tous ceux qui, au sommet de la société, occupent une fonction quelconque de responsabilité.
Les mêmes journaux s’interrogent gravement sur « la montée du populisme », le « discrédit de la classe politique », la « progression des extrêmes », la « brutalisation du débat public », etc. Peut-être pourraient-ils aussi se poser la question de leur propre responsabilité. Au lieu de séparer le bon grain de l’ivraie, de critiquer les dirigeants défaillants, mais de reconnaître les mérites des autres, ils les englobent dans une universelle défiance, pour ne pas dire une systématique condamnation. À force de traîner dans la boue tout ce qui encadre la démocratie, bien ou mal, ils finissent par miner la démocratie elle-même. On s’étonne après de voir une partie croissante de l’opinion soupirer après un pouvoir fort, soutenir, à l’extrême-droite ou à l’extrême-gauche, ceux qui promettent de « jeter à bas le système », de congédier « les élites », de raser gratis en « mettant le peuple au pouvoir » (c’est-à-dire eux-mêmes). Le dénigrement systématique des élites démocratiques par les élites journalistiques n’est pas seulement un paradoxe. C’est une aberration politique.