Joe la niaque

par Laurent Joffrin |  publié le 08/03/2024

« Sleepy Joe » est plus réveillé qu’on ne croit. Le président Biden en a apporté la preuve dans un énergique « discours de l’état de l’Union »

Le président américain Joe Biden au Capitole avant de prononcer le discours sur l'état de l'Union, à Washington, DC, le 7 mars 2024 - Photo ROBERTO SCHMIDT / AFP

On le disait vieux et mou : Joe Biden, comme souvent, a fait mentir les amateurs de clichés. Au traditionnel et annuel « discours de l’état de l’Union » devant le Congrès des États-Unis, il a substitué une harangue de meeting entièrement consacrée à la démolition de son adversaire probable de novembre. Son intervention de plus d’une heure a été si pugnace que c’est Trump lui-même, pourtant abonné à la hargne populiste, qui a dénoncé la violence verbale du président. Le patriarche hésitant qu’on décrit parfois – « sleepy Joe », dit Trump – s’est changé en boxeur ajustant ses coups comme autant de crochets et de directs des deux poings, d’autant plus efficaces qu’ils s’appuient sur des faits incontestables.

Tout en plaisantant sur son âge – « cela ne se voit pas, a-t-il dit, mais je suis dans les parages depuis un certain temps » – il a détaillé un bilan dont chacun reconnaît aujourd’hui qu’il est l’un des meilleurs des décennies récentes pour un président. Pratiquement à terre après la pandémie de Covid, l’économie américaine a connu un redressement remarquable avec deux acquis fondamentaux : le plus bas taux de chômage depuis cinquante ans, et une réindustrialisation spectaculaire qui place de nouveau les États-Unis à la tête des révolutions technologiques en cours. Notamment dans l’intelligence artificielle, auxquels s’ajoute la confirmation d’une indépendance énergétique qui n’est guère favorable à la planète (elle repose encore, en grande partie, sur les énergies fossiles), mais qui donne à l’Amérique une vaste marge de manœuvre.

La présidence Biden restera sans doute comme celle d’un pays qui refuse le déclin et relève avec force le défi commercial chinois. Du coup les classes populaires américaines, quoique toujours tentées par Trump en raison de leur inquiétude « identitaire » face à l’immigration et des débordements de la gauche « woke », ont été débarrassées de l’angoisse du chômage et vu leur pouvoir d’achat progresser nettement, ce qui pose les bases d’une reconquête démocrate dans l’ancienne « rust belt », ces états naguère minés par le recul de l’industrie. 

La vérité toujours : Biden a appelé un chat un chat, et Trump un factieux, qui menace la démocratie dans son âme et dans ses fondements, qui est prêt à se coucher devant l’agression poutinienne et qui tient un discours factice et crépusculaire sur la décadence du pays. « Mon existence, a-t-il lancé, m’a appris à embrasser la liberté et la démocratie. Un futur reposant sur les valeurs essentielles qui ont défini l’Amérique : l’honnêteté, la décence, la dignité, l’égalité (…) La question à laquelle notre nation est confrontée n’est pas l’âge que nous avons, mais l’âge qu’ont nos idées. La haine, la colère, la revanche, la vengeance figurent parmi les idées les plus vieilles. »

Le plus vieux président américain de l’histoire tient donc un discours d’optimisme et d’avenir, tandis que son agressif rival ne cesse de ramener ses concitoyens à la peur du présent et à la nostalgie du passé. Ces deux sentiments, il est vrai, sont largement répandus dans les démocraties. Mais Biden montre une voie que les dirigeants européens devraient méditer : pour vaincre le populisme, il faut lui opposer, non pas la seule indignation morale, qui risque de rester sans écho, mais une vision forte de l’avenir des démocraties, qui gardent en elles des ressources suffisantes pour affronter les épreuves du siècle.

Laurent Joffrin