Joffre, le héros écarté
Zelenski a remercié son chef d’état-major, le populaire général Zaloujny, en pleine guerre. Un acte banal ? Déjà en France en 1916…
1916. Encore une terrible année de guerre. Français et Allemands se font face sur un front de plus de 600 kilomètres de tranchées de la mer du Nord aux Vosges. C’est une guerre de position où chacun cherche à épuiser l’autre. Les pertes se sont accumulées dans des offensives vaines. Le Kronprintz (fils de l’empereur Guillaume II) a lancé le 21 février une vaste offensive sur le saillant de Verdun. Une effroyable boucherie. 700 000 mille tués et blessés en additionnant les deux camps. En vain. En décembre, les Français ont repris le terrain perdu. De juillet à la mi-novembre, les alliés ont attaqué sur la Somme, pour soulager Verdun.. L’attaque s’est enlisée. 650 000 poilus et « tommies » sont mis hors de combat.
Cette année-là, l’armée française compte 363 000 tués . À l’armistice, en novembre 1918, troupes coloniales comprises, la France pleurera près de 1 400 000 des siens, pour un peu plus de 40 millions d’habitants (moins que l’Ukraine aujourd’hui). Terrible saignée. Pas un village n’est épargné par la mort d’un père d’un frère, d’un fils, d’un mari, d’un fiancé.
L’ampleur des pertes accable. L’opposition commence à poser des questions sur l’efficacité des opérations militaires. Le président du Conseil, Aristide Briand, un socialiste indépendant, brillant orateur, habile diplomate, a été félicité pour voir obtenu l’entrée en guerre de la Roumanie aux côtés des alliés. Mais le 6 juin, Abel Fabre, député radical-socialiste fait à la chambre, une demande d’interpellation sur l’insuffisance des moyens de défense de la région de Verdun. Le mis en cause est Joseph Joffre, polytechnicien, officier du génie, chef d’état-major de l’armée, tout auréolé de la victoire de la Marne qui a sauvé Paris. Le chef du gouvernement accepte la réunion des chambres en « comité secret », soit à huis clos. Les accusations sont vives . Briand tergiverse et sauve Joffre.
Mais en novembre après la Somme, ce n’est plus une poignée de parlementaires qui s’inquiète. Cette fois, c’est l’opinion publique. Le Parlement est alarmé par la défaite de la Roumanie. Joffre aurait refusé au général Sarrail, chef de l’armée d’Orient, les renforts demandés. On propose donc que Sarrail dépende directement du ministère. Joffre, méfiant, accepte. Puis on change de ministre. On nomme Lyautey. Puis, le général Nivelle est nommé commandant des forces du nord-est et devient le vrai chef des opérations. Joffre garde son titre, mais le voilà conseiller du gouvernement et membre d’un comité de guerre opportunément créé.
Joffre comprend qu’il est écarté de la conduite de la guerre . Le 26 décembre, il donne sa démission. Le 27 il la reprend. Le 28, il reçoit sa sixième étoile et se voit élever la dignité de maréchal de France. Pas question de punir ou d’humilier en temps de guerre, un soldat aussi populaire.
Fin avril 1917, après l’entrée en guerre des États-Unis, il s’y rend, fait une tournée triomphale et aide les Américains à constituer une force armée puissante. Pendant ce temps, son remplaçant Nivelle subit un échec sanglant au chemin des Dames : 170 000 pertes françaises qui seront à l’origine des mutineries. Nivelle est remercié. Pétain et Foch arrivent. La guerre durera encore 18 mois…