Jordan Bardella : la stratégie du fantôme
À deux mois des Européennes, le candidat du Rassemblement National, qui caracole à 30 %, ne dit rien ou presque de son programme
On ne change pas une méthode qui gagne. Depuis deux ans, Marine Le Pen progresse dans les sondages… en gardant le silence. Moins elle en dit, plus elle monte, à contrario d’un Jean-Luc Mélenchon qui descend aussi fort qu’il vocifère.
L’élève Jordan a bien écouté la maîtresse Marine et suit ses préceptes dans sa campagne pour les élections européennes. Sa stratégie se révèle jusqu’à présent payante. Le candidat du Rassemblement National caracole dans les sondages à 30 % d’intentions de vote, plus de 13 points devant Valérie Hayer, sa rivale de la majorité présidentielle. À deux mois du scrutin du 9 juin, plus personne ne semble être en mesure de le détrôner.
Le paradoxe est que le favori a, pendant ces deux mois, tout à perdre. Même numéro un, s’il devait descendre en dessous du seuil symbolique des 30 %, son résultat serait jugé décevant. Comme Marine Le Pen le lui a appris, il ne veut prendre aucun risque, se fait rare à la radio et à la télévision et esquive les débats, comme s’il ne voulait pas se confronter à des concurrents moins puissants qui ne pourraient que le tirer vers le bas.
Le 14 mars, il envoie Thierry Mariani débattre à sa place sur Public Sénat avec toutes les autres têtes de liste aux élections européennes. Qu’importe si le représentant du RN se fait massacrer en raison de ses accointances avec Vladimir Poutine, Jordan Bardella, lui, continue de progresser dans les sondages. Le 10 avril, il refuse de prendre part au débat des têtes de listes sur France 24 et RFI. Et il préfère se faire remplacer par la dernière prise de guerre du RN, le numéro trois de sa liste, Fabrice Leggeri, ancien directeur de Frontex.
À ce jour, Jordan Bardella a certes confirmé qu’il affronterait en duel Raphaël Glucksmann sur France Inter le 12 avril et Valérie Hayer sur BFMTV le 2 mai. Il dit aussi qu’il sera présent sur les plateaux pour le Rassemblement National du 5 mai au 5 juin, lors des cinq grands débats de clôture de la campagne électorale, successivement sur RTL, LCI, BFMTV, CNews et France 2.
Tiendra-t-il parole ? Jordan Bardella, qui avance masqué, nous a habitués à décliner au dernier moment sa participation que l’on pouvait croire acquise. L’effet final est que personne n’a une vision claire de ses propositions sur les principaux enjeux européens. Les Français qui s’apprêtent à voter pour lui sont davantage guidés par le ressentiment et la colère contre le pouvoir en place que par les convictions profondes d’un candidat qu’ils ne connaissent guère.
D’autant plus désorientant que sur l’Europe, la position du Rassemblement National a varié. S’il souhaitait autrefois en sortir, tout juste sait-on, depuis son seul meeting de campagne à Marseille, qu’il évacue aujourd’hui la possibilité d’un Frexit, réclame la fin du Pacte vert dont les agriculteurs ne veulent pas et appelle de ses vœux le Pacte migratoire dont il attend qu’il protège des migrants les frontières de l’Europe.Pas un mot sur le reste. Face à une guerre aux portes de l’Europe, le programme paraît bien court.