Jordan Bardella : le dauphin aux dents longues

par Yoann Taieb |  publié le 11/06/2023

Lisse, moderne, déterminé, pur produit du militantisme parvenu à la présidence du Rassemblement National, Jordan Bardella fait partie d’une jeune génération qui monte, qui monte, qui monte…

Jordan Bardella et Marine le Pen-Photo Alain JOCARD / AFP

Son visage est maintenant connu. L’homme adore les plateaux de télévision et les phrases chocs. Jordan Bardella, président du Rassemblement National depuis septembre 2022, est un enfant prodige de la politique. Jeune, 28 ans, il n’a fréquenté ni l’ENA ni Sciences Po, mais a fait toutes ses classes de professionnel de la politique.


Aujourd’hui, sa facilité oratoire et son aisance médiatique permettent au parti héritier de Jean-Marie le Pen de poursuivre une stratégie de normalisation au long cours. Quand il évoque son nom, Renaud Cabaye, secrétaire général du RN à l’Assemblée, devient lyrique : «  Marine Le Pen a récupéré un diamant brut. Elle l’a façonné. Maintenant, il brille par lui-même ».

Trente ans plus tôt, vu ses origines et son parcours, il aurait dû être de gauche. Le voilà dauphin proclamé d’un parti d’extrême-droite. Mystère. L’histoire de Jordan Bardella ressemble à un roman français populaire, ou comment un jeune homme de milieu modeste, quasi-orphelin, parvient à se hisser au sommet de la hiérarchie politique française.


Tout commence au sein de la classe moyenne, en banlieue, à Drancy. Son père gère une petite PME, sa mère travaille en école maternelle. Ils se séparent. Jordan Bardella un an, il vit avec sa mère et grandit dans la cité Gabriel Péri, à un kilomètre à peine de la basilique Saint-Denis où reposent les rois de France. Les pieds dans le béton, la tête couronnée d’or. Le voilà très vite confronté à la violence, aux trafics de drogue et aux émeutes de 2005. Déclic ?


Jordan Bardella se radicalise. Il n’a pas la foi du Front national chevillée au corps. La gouaille et les excès de Jean-Marie le Pen ne l’attirent pas. En revanche, Marine le Pen le séduit. Conquis, il rejoint le parti plus « pour soutenir Marine Le Pen plus que pour le Front National lui-même ». Ah, Marine…


Peu importe qu’elle s’embrouille dans l’économie nationale et des dossiers qu’elle ne maitrise pas pendant sa campagne. Pour l’adolescent, l’important n’est pas là : « je ne vais pas vous dire qu’à 16 ans c’est la sortie de l’euro qui me passionnait, mais il y a un truc chez elle qu’il n’y a pas chez les autres. Elle est courageuse, dit tout haut ce que personne n’ose dire, elle a un caractère, une énergie, une franchise, une honnêteté, un courage qui me parlent ». La personnalité de Marine, à la fois mère et père de substitution, moins clivante et plus sociale, coche toutes les cases. Le gamin est conquis.


La politique le prend aux tripes. Il décide d’abandonner ses études de géographie -théoriques et sans conviction – pour mieux voyager au cœur du monde politique. Depuis, il court, vole et surtout escalade, enchaîne les postes et les responsabilités importantes. Plus jeune secrétaire départemental du FN, tête de liste triomphante pour les élections européennes en 2019, le voilà légitime, assez , trois ans plus tard, pour se faire élire – soutenu des deux mains par sa marraine – président du RN face à un grognards du parti, Louis Aliot.

Déjà, des voix lui prêtent des ambitions démesurées et il n’hésite pas à se démarquer de sa mère politique. Il a pris ses distances, notamment, sur l’Ukraine en dénonçant « l’aveuglement » européen au sujet de la Russie quand Marine le Pen, elle, est régulièrement pointée pour son tropisme poutinien depuis des années.


Le jeune loup, aussi froid et lisse qu’un financier de Wall Street, agace ses adversaires chenus, mais choisit son entourage à son image, impressionné par sa capacité de travail et son acharnement à arriver au plus haut. Et il sait polir son image.

Quitte à déguiser la réalité. On l’accuse d’accointances avec des groupuscules d’extrême-droite, lui affirme être sans ambiguïté et déclare qu’il faut les dissoudre… en oubliant sa connection avec des membres du GUD, pourvoyeur de prestations de communication via la société e-politics. Une proximité de fait à laquelle il ne semble pas pressé de mettre fin. Double discours. Marine le Pen l’a bien formé.


Qui est Jordan Bardella ? Côté face, la preuve que beaucoup d’électeurs modestes ont déserté la gauche pour le RN. Côté pile, un capitaine de poids pour Marine Le Pen, prise par le Palais-Bourbon, qui peut compter sur lui pour gérer son parti.


Ascension fulgurante. En cas de victoire en 2027 – il aura 32 ans – il ferait pour le moins un ministre fidèle et très présentable. Et en 2032 ? En politique, on ne tue pas seulement son père…

Yoann Taieb