Jour de honte pour la République

par Boris Enet |  publié le 16/10/2024

La nuit tombe, quelques 30 000 algériens s’élancent dans Paris à l’appel du FLN. Rapidement, les coups pleuvent avec une intensité qui rappelle les heures les plus sombres. Le préfet Papon a donné carte blanche. Elle sera rouge sang.

Stèle en hommage aux victimes algériennes du 17 octobre 1961, Paris, le 2 juin 2022 (Photographie par Magali Cohen / Hans Lucas via AFP)

Les pellicules auront beau être confisquées et les pressions faites pour taire l’indicible, la vérité historique finira, comme toujours, par faire surface. Une génération d’historiens plus tard, souvent issus de la gauche et de l’immigration, l’innommable sera révélé. L’arrivée de la gauche au pouvoir et l’alternance permettent – lentement mais sûrement – l’ouverture des archives sur cette tragédie tue et rangée dans la catégorie des « évènements ».

Cinquante-et-un an plus tard, François Hollande fraîchement élu, reconnaissait la « sanglante répression » d’une manifestation, interdite mais pacifique, contre l’imposition du couvre-feu.

Dans ce climat de haine raciste répandu dans certains secteurs de la police parisienne, un théâtre d’ombres et de lumières se noue. Tandis que les négociations entre le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) et les émissaires de De Gaulle s’accélèrent à Genève, chaque camp fourbit ses armes.

Le bras de fer politique interne au FLN nécessite la mobilisation des bases arrière hexagonales. Aux attentats perpétrés par les milieux du FLN à l’encontre de la police ou des activistes du MNA (Mouvement National Algérien), l’OAS multiplie ses campagnes de terreurs en Algérie comme en France. Les appartements des soutiens à la cause algérienne sont plastiqués, la torture revendiquée, la presse parfois bâillonnée.

L’issue est pourtant connue. On peut l’emporter militairement tout en perdant la partie politiquement. De Gaulle le sait, comme le sens de l’Histoire. Mais porté par les partisans de l’Algérie française, il se refuse à le revendiquer, d’où un quiproquo entré dans l’Histoire sous la forme d’un « Je vous ai compris », peu compréhensible.

Alors, à quoi bon ces dizaines d’Algériens noyés, laissés pour mort dans des centres d’internement que l’on n’ose nommer autrement ? Certains historiens comme Jean-Jacques Einaudi iront jusqu’à annoncer le meurtre de deux-cent personnes dans ce qui s’apparentait alors à une chasse aux « bicots », couverte par la préfecture de Paris aux mains d’un homme condamné ultérieurement pour crimes contre l’humanité.

Fin 1944 et suivantes, l’épuration légale avait nécessité au nom de la Raison d’État de ne pas être trop regardant sur la collaboration des hauts fonctionnaires. C’était la conviction gaulliste, dans un double souci de reprendre la main sur la puissance du PCF et de construire un roman national « résistantialiste », progressivement mis à mal après le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon en 1964.

Reste à savoir dans quelle mesure Papon a agi seul et avec quelle marge d’autonomie. Sur ce point, l’histoire balbutie encore. Seule satisfaction pour les jeunes générations, les faits sont enfin restitués dans les manuels du secondaire depuis le début des années 2000.

C’est encore la différence de nature entre les démocraties, même empêchées provisoirement de faire toute la lumière et les dictatures empêtrées dans une histoire officielle. Et ce n’est pas un point de détail.

Boris Enet