Judith Butler au secours du Hamas

par Laurent Joffrin |  publié le 06/03/2024

La philosophe qualifie de « résistance armée » l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre. Conséquence directe des thèses décoloniales et intersectionnelles prônées par la philosophe

France, Pantin. Rencontre avec Judith Butler. Contre l'antisémitisme et son instrumentalisation, pour une paix révolutionnaire en Palestine. Photographie de Martin Noda / Hans Lucas- Photo Martin Noda /

Judith Butler est une grande philosophe : tous ses admirateurs le disent, l’obscurité de ses livres en atteste et les groupes militants qui usent de ses concepts vouent aux gémonies quiconque oserait en douter. C’est dire. Elle est en tout cas la papesse des « études de genre », ce qui donne à ses propos l’importance et la solennité d’un sermon sur la montagne ou d’une parole tombée du mont Sinaï.

Invitée hier à Pantin par une secte décoloniale, Paroles d’Honneur (PDH), proche d’Houria Bouteldja, autre prophétesse – de moindre calibre – qui s’est illustrée par ses thèses communautaristes et proto-antisémites, elle a donc livré les sentences qui suivent :  « Je pense qu’il est davantage honnête et correct de dire que le soulèvement du 7 octobre était un acte de résistance armée. Ce n’est ni une attaque terroriste ni une attaque antisémite. »

La chose étant lâchée sur le ton de l’évidence, elle a fait gagner du temps à son auditoire en s’abstenant de toute argumentation pour soutenir ses affirmations, considérant sans doute qu’il suffit de qualifier un événement pour en prouver ipso facto la nature. L’assistance a de toute manière balayé toute hésitation en saluant sa déclaration d’une salve d’applaudissements.

Avec un courage intellectuel hors du commun, elle précise que les méthodes employées ce jour-là par le Hamas – l’assassinat, le viol, l’égorgement et l’éventration de civils innocents – « peuvent se discuter », ce qui lui confère une admirable lucidité. Elle demeure, pour le reste, d’une cohérence sans faille : elle avait naguère considéré le groupe islamiste qui règne d’une main de fer sur Gaza et dont chacun connaît le dévouement à la cause de l’émancipation féminine et aux droits des personnes LGBT, comme un « parti de gauche ».

Lequel, dans sa grande rigueur intellectuelle, se réfère dans sa charte au Protocole des Sages de Sion, faux antisémite jadis forgé par la police tsariste et, dans sa ferveur décoloniale, juge la terre palestinienne indûment occupée par « l’entité sioniste », proposant avec modération de libérer ces territoires de la présence israélienne « de la rivière jusqu’à la mer », ce qui revient à prôner l’élimination pure et simple de l’État d’Israël.

L’intervention a eu lieu en présence de deux députés de la France insoumise, Danièle Obono et Younous Omargee, et de militants de diverses associations ou partis, tel le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). Dans cette mouvance d’extrême-gauche, ces idées sont largement répandues. Il faut dire que l’extrême brutalité de la réplique israélienne, le nombre des morts à Gaza, le début de famine provoquée par la guerre et la destruction systématique d’environ la moitié des habitations gazaouies, par l’émotion qu’ils suscitent, ne favorisent guère l’analyse froide des propos de Judith Butler. L’action israélienne ne cesse de renforcer les soutiens de la cause palestinienne, notamment ses éléments les plus radicaux, et pas seulement dans les universités américaines.

Les thèses de cette mouvance découlent directement des thèses décoloniales et intersectionnelles prônées par Judith Butler et ses épigones, qui introduisent une hiérarchie parmi les victimes des conflits. Israël étant tenu pour un État colonial et les Juifs pour des « dominants », les victimes du Hamas ont une moindre importance, de même que pour l’extrême-droite israélienne, les pertes subies par la population gazaouie sont négligeables par rapport à celles d’Israël.

Ainsi les extrémistes des deux bords tiennent le haut du pavé dans la controverse autour des événements de Gaza, rendant chaque jour plus difficile la tâche de ceux qui cherchent sincèrement une solution de paix pour ces deux peuples.  

Laurent Joffrin