Kamala Harris fait-elle peur aux hommes ?

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 29/10/2024

Jamais l’écart entre les votes des femmes et celui des hommes n’a été aussi élevé, les seconds préférant Donald Trump. Une clef de la présidentielle américaine.

Kamala Harris à Philadelphie (Pennsylvanie) le 27 octobre 2024. (Photo de Saul Loeb / AFP)

A quelques jours du scrutin, alors que les courbes des sondages sont à touche-touche, Kamala Harris pourrait être sauvée par les femmes, ou coulée par les hommes. Le « gender gap » est plus béant que jamais aux Etats-Unis. Selon un récent sondage du New-York Times, Trump mène le score chez les hommes avec une avance de 11 points. Alors que Kamala Harris est la favorite des femmes, notamment dans les « swing states » où se jouent l’élection. Selon la mobilisation des unes ou des autres le jour du vote, le résultat pourrait basculer.

L’ambiance est à l’exacerbation des réflexes genrés. Depuis l’explosion du mouvement #MeToo, les hommes sont particulièrement sur la sellette aux Etats-Unis. Les mouvements féministes, déjà puissantes, y ont puisé une nouvelle audience. Une dynamique qui a provoqué chez les mâles américains une réaction de « backlash », d’hommes agacés, voire furieux, de la progression des droits des femmes. La décision de la Cour Suprême mettant fin à la jurisprudence Roe v Wade, en 2022, a achevé de radicaliser les positions, une large majorité de femmes américaines étant révoltées par l’interdiction de l’avortement permise par les « Sages » du Capitole… dont trois ont été nommés par Trump.

C’est dans ce climat que Kamala Harris s’est lancée, se posant en défenseuse farouche des libertés de ses concitoyennes. A chaque discours, elle martèle sa volonté de revenir sur une décision inique et valorise le rôle des femmes encore insuffisamment respectées. Elle récolte largement leur soutien mais irrite beaucoup d’hommes déjà passablement énervés contre les féministes et leurs protégées. Un réflexe négatif marqué chez les électeurs masculins du parti républicain : 70% d’entre eux pensent que Kamala Harris rendrait la vie des hommes plus difficile.

Cela explique sans doute pourquoi, même dans les minorités qui devraient la soutenir, la candidate démocrate ne fait pas le plein. Si elle obtient, par exemple, le soutien de 68% des femmes latino-américaines, son adversaire réussit à attirer 48% des hommes de cette catégorie de la population. Et un quart des hommes afro-américains de moins de 50 ans votent Trump. Le discours macho viriliste trouve aussi un écho dans l’électorat non-blanc. Autant de voix qui vont manquer à la candidate féministe. Le phénomène est frappant chez les plus jeunes. 40% des électeurs de Trump de moins de 50 ans estiment que la progression des femmes s’est faite à leurs dépens. Les18-29 ans sont deux fois plus nombreux de cet avis que les plus de 64 ans. Du coup, 58% de cette tranche d’âge votent Trump contre seulement 37% pour Harris.

Une peur diffuse s’est répandue chez les hommes, surtout dans les nouvelles générations, toutes origines confondues : à la crainte de ne pas être à la hauteur des femmes émancipées et souvent mieux éduquées (elles sont plus diplômées) s’ajoute celle d’être menacé dans un statut social désormais mis en danger par la concurrence féminine. Il y a du ressentiment chez les hommes, que Trump exploite à fond, devenant le candidat de la revanche masculine. Pour Kamala Harris, cela rend la campagne difficile : elle ne peut pas trop en faire du côté des femmes si elle ne veut pas accentuer la fuite des hommes. Un équilibre subtil à trouver. Si elle parvient à être élue, c’est qu’elle aura réussi à décourager moins d’hommes que Trump n’aura fait fuir de femmes…

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse